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« Midi du CriDIS » 20/02/25

iacchos | Louvain-la-Neuve

iacchos
12 February 2025, modifié le 13 February 2025

Salle du CriDIS – Doyen 3è-B334
12h20-13h55

Etienne Verhaegen nous présentera son analyse des discours autour de l’anthropocène.

« La crise climatique, une catharsis moderne ? Un regard sur un Anthropocène mythopoïétique, Etienne Verhaegen, CriDIS, UCLouvain »

On ne doit plus souligner à quel point le changement climatique et la perte de biodiversité, dont l’homme serait devenu le principal responsable, occupent aujourd’hui les esprits. Issue des sciences de la terre (mais maintenant rejetée par elles), l’idée d’Anthropocène - qui condense cette « nouvelle réalité » - est largement accaparée par tout le spectre des sciences sociales. Etonnant objet de pensée, chargé de paradoxes. Au moment où la disparition potentielle de l’homme occupe plus que jamais le devant la scène, il est placé au centre de celle-ci. Cette double face de l’Anthropocène, puissance de l’Homme et menace existentielle, entraîne inévitablement une réflexion sur la fin du monde, au moins de l’Humanité. Que l’on croit qu’elle est imminente, ou a même déjà commencé, ou que l’homme a encore son destin entre ses mains, une nouvelle apocalypse se dessine en toile de fond du débat anthropocénique. 

De très nombreux auteurs ont déjà entrepris une critique de l’Anthropocène et de son homogénéisation de l’Homme comme agent universel. Ils soulignent en particulier les risque d’a-politisation ou de post-politisation et de renouvellement des logiques capitalistes que sous-tendent les réponses dominantes, techno-managériales, au défi du changement climatique. 

Cette intervention ne vise pas à s’ajouter à ce courant critique, mais plutôt à s’interroger sur le poids considérable acquis en 20 ans par l’idée d’Anthropocène dans les imaginaires scientifiques, politiques, activistes, artistiques, …, et particulièrement son volet « fin du monde ». On peut facilement imaginer que l’ampleur de la catastrophe annoncée, son universalisme, l’accumulation d’évidences scientifiques sur la réalité du changement climatique actuel et ses conséquences, constituent des éléments explicatifs largement suffisants pour comprendre le formidable succès de la vision anthropocénique. Sa portée philosophique, qui bouscule radicalement l’ontologie des rapports entre l’homme et la nature et lui donne un rôle majeur de fossoyeur de tout un pan de la pensée moderniste, constitue aussi un puissant élément attractif. 

Ces éclairages paraissent toutefois insuffisants, trop superficiels, pour expliquer le foudroyant succès de l’Anthropocène, et plus particulièrement l’importance des tonalités apocalyptiques qui l’accompagnent.  

Pour creuser les racines de cet engouement, il importe de s’interroger sur les fonctions du discours anthropocénique. En première analyse, on peut en distinguer quatre. Il permet d’abord de cristalliser les angoisses face à la perte des anciens repères, d’identifier un phare dans l’épais brouillard qu’est devenu le fonctionnement de nos sociétés. Sa deuxième fonction est d’opérer un grand lissage du passé en gommant nombre de soubresauts violents de l’histoire, et avec eux, les responsabilités sous-jacentes. Ce gommage est indispensable dans la perspective d’un nouveau départ vers un futur repensé. On touche ici à la troisième grande fonction du récit : le traçage d’un chemin d’espoir et de mobilisation. Il passe par l’élaboration de nouveaux concepts préhensibles, comme celui de « réfugiés climatiques », qui permettent de déplacer les responsabilités et de définir des leviers d’action accessibles à tout un chacun. Enfin, la quatrième fonction, dans la prolongation des trois précédentes, pourrait être de nous envelopper d’une mission de sauveur.

Ces fonctions doivent s’appuyer sur le façonnement d’un nouvel imaginaire porteur de sens. Une dimension mythopoïétique de la narration anthropocénique accompagne nécessairement cette construction. Pas dans ses constats bien sûr – le réchauffement climatique d’origine anthropique et ses conséquences n’ont rien d’un mythe –, mais dans un travail de « purification » de la réalité pour en dégager des principes de lisibilité et de signification. 

Il est donc proposé de regarder la nouvelle « scène » comme la construction d’une porte de sortie cathartique, paradoxalement libératrice, face au mal être et angoisses généralisés et l’impuissance d’y faire face ressentis par une franche de plus en plus importante de la population (du moins occidentale). 

Mais si l’Anthropocène possède une importante dimension rédemptrice et émancipatrice, cette catharsis du temps présent apparaît avant tout comme une entreprise de prolongation de la modernité. Le discours anthropogénique, qui est présenté par nombre de penseurs, activistes, militants, transitionnaires, …, comme une libération face au grand projet modernisateur en voie d’épuisement, peut être vu comme n’étant qu’un nouveau méta-récit de substitution.