Avis consultatifs international et interaméricain en matière climatique
cedie | Louvain-la-Neuve
Quelques réflexions autour des (im)mobilités humaines
Avis consultatif – Cour internationale de justice – Cour interaméricaine des droits humains – Changements climatiques – (Im)mobilités – Obligations des États – Participation – Coopération internationale.
Zoé Briard et Marie Courtoy
La Cour interaméricaine des droits humains (CIADH) et la Cour internationale de justice (CIJ) ont toutes deux rendu un avis consultatif récemment. Le premier, adopté le 29 mai 2025, porte sur l’urgence climatique et les droits humains. Le second, datant du 23 juillet 2025, a pour objet les obligations des États en matière de changement climatique. Si les deux avis portent sur des sujets similaires, les approches adoptées par chacune des juridictions diffèrent sensiblement. Ce commentaire vise à mettre en lumière des points de convergence et de divergence entre elles ainsi qu’à souligner certains apports et lacunes, particulièrement en ce qui concerne la question des (im)mobilités humaines. Cet exercice revêt un intérêt accru à l’approche de l’avis consultatif de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples sollicitée le 2 mai dernier sur l’interprétation de son instrument de référence face au défi climatique.
A. Deux juridictions, deux mandats, un même défi climatique
La requête présentée devant la Cour internationale se distingue par sa concision, à l’inverse de celle adressée à la Cour interaméricaine, longue et détaillée. Cette dernière comprenait 20 questions portant sur l’interprétation d’obligations générales et le respect des droits humains qui pourraient se voir affectés par l’urgence climatique (§ 27). Si la Cour interaméricaine reformule ces interrogations en trois questions portant respectivement sur les droits substantiels, les droits procéduraux et les groupes en situation de vulnérabilité (§ 28), elle aborde tout de même l’ensemble des thèmes évoqués par les Républiques chilienne et colombienne dans un avis consultatif long de 234 pages. La Cour internationale n’était quant à elle interrogée que sur deux points, mais considérables : les obligations juridiques en matière climatique et les conséquences juridiques attachées à leur violation. Elle y a répondu en 133 pages.
Tant la Cour internationale que la Cour interaméricaine permettent des tierces interventions dans leur procédure d’avis consultatif. Dans un cas comme dans l’autre, ces procédures ont marqué ces deux juridictions en devenant les processus les plus participatifs de leur histoire. De son côté, la Cour interaméricaine a reçu 263 observations écrites de la part de plus de 600 entités du monde entier (Communiqué de presse 48/2025 de la CIADH). Quant à la Cour internationale, elle a reçu plus de 250 interventions par des États et organisations internationales pendant la phase écrite et les audiences publiques (Communiqué de presse 2025/36 de la CIJ). Il est toutefois intéressant de noter que la diversité des acteurs à l’origine des interventions n’est pas la même devant les deux juridictions. Alors que le règlement de la Cour internationale limite la possibilité de présenter des soumissions aux États et aux organisations internationales, le règlement de la Cour interaméricaine autorise la participation d’une gamme d’acteurs beaucoup plus large. Comme le soulignent Gómez-Betancur et al., les 613 acteurs ayant formulé des observations écrites devant la Cour interaméricaine ne se limitent pas aux États et aux organisations internationales mais incluent aussi des communautés locales, des peuples autochtones, des groupes afrodescendants, des organisations de la société civile, des institutions académiques et de jeunes activistes. Leur participation n’est pas restée lettre morte puisque, pour la première fois, la Cour interaméricaine se réfère directement, dans un avis consultatif, aux observations écrites de la société civile et des peuples autochtones en soutien de son analyse (voy. Gómez-Betancur et al.). La Cour interaméricaine reconnait par ailleurs les savoirs locaux, traditionnels et autochtones lorsqu’elle consacre le droit d’accéder aux bénéfices de mesures basées sur la meilleure science disponible (§§ 477-478). Si elle s’ouvre ainsi à une plus grande pluralité de savoirs, elle se base également sur les rapports du Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC) comme le fait la Cour internationale. La Cour interaméricaine fait ce choix en raison de leur caractère représentatif, de leur rigueur méthodologique et de leur reconnaissance étendue par les États (§ 33) tandis que la Cour internationale le justifie par l’accord des participants à la procédure sur ce point (§ 74). Malgré les critiques dont l’institution fait l’objet, notamment le manque de prise en compte des savoirs autochtones (Sherpa, Rashidi, Carmona et al., van Bavel et al.) et du Sud Global (Rucavado Rojas & Postigo), les deux juridictions reconnaissent le GIEC comme la référence lorsqu’il s’agit des meilleures données scientifiques disponibles sur les changements climatiques.
La réponse que chaque cour a donnée aux questions qui lui étaient soumises est encadrée par son mandat (limité aux droits humains définis dans son instrument régional pour l’une, portant sur le corpus complet du droit international pour l’autre) et conditionnée par la logique plutôt horizontale ou verticale de leur règlement des différends. Historiquement, la Cour interaméricaine a souvent adopté une posture audacieuse, notamment avec la reconnaissance d’un droit humain à un environnement sain dans son avis consultatif de 2017. Cela transparait également face au défi climatique soulevé devant elle. En effet, si la Cour interaméricaine suit les termes de la requête et se concentre surtout sur les changements climatiques, elle rappelle tout de même que ces derniers s’inscrivent dans le contexte plus large d’une triple crise planétaire, avec celles de pollution globale et de perte de la biodiversité (§ 42). La Cour internationale circonscrit quant à elle son analyse aux changements climatiques, dans la mesure où eux seuls étaient mentionnés dans la requête.
La Cour internationale dispose a priori d’un éventail plus large d’instruments à interpréter ; pourtant cela semble limiter son analyse à certains égards et en particulier en ce qui concerne les droits humains auxquels elle consacre en tout et pour tout 8 pages (§§ 369-404). Ainsi, elle n’aborde pas les droits procéduraux alors même que la Cour interaméricaine y consacre l’une des trois questions sur lesquelles repose son avis et reconnait qu’ils constituent une condition essentielle à la légitimité et à l’effectivité des décisions prises pour faire face à l’urgence climatique (§ 458). Certes, la Cour internationale n’est pas une juridiction de droits humains. Elle est néanmoins compétente pour interpréter le droit international dans son ensemble et aurait pu se baser sur la jurisprudence existante émanant des juridictions de droits humains. Au lieu de cela, elle se contente d’indiquer que « la question de l’application du droit international des droits de l’homme en lien avec les effets néfastes des changements climatiques a été traitée dans des décisions de juridictions régionales des droits de l’homme » et de renvoyer à leur jurisprudence, notamment à l’avis de la Cour interaméricaine (§ 385). Par ailleurs, il existe d’autres instruments de droit international importants en matière de droits procéduraux qu’elle aurait pu lire conjointement, notamment la Convention d’Aarhus ou l’Accord d’Escazú que cite la Cour interaméricaine (§§ 38, 464, 492, 533, 547 et 564).
Malgré des approches largement différentes, il est intéressant de relever que la Cour internationale et la Cour interaméricaine aboutissent parfois aux mêmes résultats. Ainsi, devant l’importance de l’enjeu, elles déduisent toutes deux que les obligations en la matière sont erga omnes (CIJ, § 440, CIADH, § 287). De plus, alors même que les projections actuelles confirment son dépassement, les deux juridictions réaffirment le seuil de réchauffement à +1,5 °C comme l’objectif à poursuivre, tout comme l’avait déjà fait le Tribunal international du droit de la mer dans son avis consultatif sur le changement climatique et le droit international. La Cour internationale le déduit des décisions rendues lors des conférences des parties qui ont suivi l’adoption de l’accord de Paris (1/CMA.3 et 1/CMA.5), dans lesquelles l’objectif de 1,5 °C est indiqué comme l’objectif à poursuivre. Elle considère ces décisions comme des accords ultérieurs devant guider l’interprétation de l’accord de Paris au sens de l’article 31, § 3, (a), de la Convention de Vienne sur le droit des traités (§ 224). Plus brièvement, la Cour interaméricaine déduit de l’accord de Paris et du consensus international autour de la limitation du réchauffement planétaire à 1,5 °C que ce dernier doit être compris comme un point de départ minimal et non un objectif final (§ 326). Sur certains points, la Cour internationale et la Cour interaméricaine adoptent toutes deux une position ambitieuse, un consensus prometteur semblant se dégager.
B. Les (im)mobilités climatiques : la brièveté de la Cour internationale face aux développements transversaux de la Cour interaméricaine
Comme cela apparait clairement dans les deux commentaires précédents qui s’attèlent chacun à analyser l’un des deux avis, la Cour interaméricaine est beaucoup plus fine dans son appréhension des (im)mobilités humaines que ne l’est la Cour internationale. La différence se marque d’abord dans le ton. La Cour internationale adopte un langage conditionnel et tourné vers le futur en considérant que « les changements climatiques pourraient créer des conditions susceptibles de mettre en danger la vie d’individus qui pourraient devoir chercher refuge dans un autre pays ou se trouver empêchés de retourner dans le leur » (§ 378). La Cour interaméricaine reconnait au contraire clairement que ces mouvements sont déjà une réalité (§§ 103, 116, 420).
De plus, alors que la Cour internationale ne fait que mentionner les déplacements comme l’une des conséquences des changements climatiques à deux endroits (§§ 73, 357) et reconnaitre l’application du principe de non-refoulement en un paragraphe (§ 378), la Cour interaméricaine consacre de larges développements aux (im)mobilités humaines, sur plus de 15 pages dispersées dans son arrêt (§§ 76, 95, 102-4, 116, 158, 195, 253, 403-34, 449, 614). La Cour interaméricaine adopte une vision transversale qui témoigne d’une meilleure compréhension de la diversité des (im)mobilités climatiques. Après avoir insisté sur les obligations de prévenir l’occurrence des mobilités climatiques, la Cour interaméricaine reconnait une série d’autres obligations dans le chef des États afin d’encadrer les migrations, les déplacements (internes ou internationaux), les relocalisations planifiées et l’immobilité[1].
Ceci peut notamment s’expliquer par le fait que seule la demande d’avis consultatif présentée à la Cour interaméricaine dédiait une de ses questions aux mobilités climatiques. La question n’était toutefois pas hors sujet pour la Cour internationale puisque non seulement le préambule de la demande d’avis consultatif mentionnait les déplacements, mais près de deux tiers des soumissions écrites des États faisaient également référence aux mobilités de l’une ou l’autre manière (McAdam).
Le principe de non-refoulement semble être une question sur laquelle les deux juridictions adoptent une reconnaissance timide par un simple renvoi à la communication Teitiota du Comité des droits de l’homme des Nations unies sans préciser les conditions d’application. La Cour interaméricaine va tout de même un pas plus loin en faisant mention du statut de réfugié en sus de la protection subsidiaire offerte par les droits humains (§ 433). Elle précise également, contrairement à la Cour internationale, que les États ont l’obligation de mettre en place des mécanismes efficaces pour assurer la protection humanitaire des personnes qui fuient un environnement qui se dégrade, notamment par la création de catégories migratoires adaptées, telles que les visas humanitaires ou l’autorisation de séjours temporaires (§ 433). L’ajout d’autres voies migratoires est important dans la mesure où la protection internationale suppose un niveau de risque critique et ne permet pas aux individus de s’adapter à temps (McAdam).
La Cour interaméricaine lie aussi directement l’obligation de coopération à la protection effective des droits humains des personnes en situation de mobilité (§§ 253, 430). Elle souligne qu’il est de la responsabilité de la communauté internationale d’opérationnaliser des fonds internationaux qui permettent aux pays les plus vulnérables de faire face à la mobilité humaine générée par les changements climatiques (§ 431). En mentionnant la conformité de ce fonds avec les principes d’équité, de solidarité et des responsabilités communes mais différenciées, la Cour interaméricaine insiste sur le fait que certains États ont de plus grandes responsabilités que d’autres dans la situation actuelle. La coopération doit dès lors prendre en compte les différences entre États, notamment de responsabilités (§ 253). La manière dont les États pourraient aligner leurs priorités nationales sur une coopération internationale adéquate tout en tenant compte d’une répartition équitable des ressources reste cependant incertaine et demande plus de précisions (voy. Guidi et Chaparro). Au contraire, la Cour internationale ne lie pas l’obligation de coopération aux situations de mobilités. Cette dernière reconnait l’obligation de coopération, qu’elle qualifie de « nécessité impérieuse » et « obligation juridique » (§ 308), et ajoute qu’elle « repose sur la reconnaissance de l’interdépendance des États et du besoin de solidarité entre les peuples qui en résulte » et « revêt une importance particulière » face à l’élévation du niveau de la mer (§ 364). La Cour internationale adopte toutefois une approche neutre qui ne différencie pas les obligations entre groupes d’États, notamment d’après la terminologie consacrée en droit international climatique de pays développés et en développement, et limite le principe de responsabilités communes mais différenciées et capacités respectives à la répartition des efforts en matière climatique (§ 148). Au-delà des approches de chacune des cours, une chose est certaine : le droit international consacre une exigence claire, celle de la coopération pour faire face à cette menace pour l’humanité entière.
C. Pour aller plus loin
Jurisprudence :
- CIJ, avis consultatif du 23 juillet 2025, Obligations des États en matière de changement climatique.
- CDH, Constatations relatives à la communication n° 2728/2016, Ioane Teitiota c. Nouvelle-Zélande, 24 octobre 2019.
- Tribunal international du droit de la mer, avis consultatif du 21 mai 2024, Changement climatique.
- CIADH, Avis consultatif 32/25, Emergencia climática y derechos humanos, 29 mai 2025.
- CIADH, Avis consultatif 23/17, Medio ambiente y derechos humanos, 15 novembre 2017.
Doctrine :
- Carmona, R. et al., « Analysing Engagement with Indigenous Peoples in the Intergovernmental Panel on Climate Change’s Sixth Assessment Report », Npj Climate Action, vol. 2, n° 1, 2023, p. 29.
- CIEL et al., Justicia Climática y Derechos Humanos : Estándares y Herramientas Jurídicas de la Opinión Consultiva 32/25 de la Corte Interamericana de Derechos Humanos, Octobre 2025.
- McAdam, J., « How the ICJ’s Advisory Opinion on Climate Change Addresses Displacement, International Protection and Ongoing Statehood », Researching Internal Displacement Short Pieces, 2025.
- McAdam, J., « Moving beyond Refugee Law : Putting Principles on Climate Mobility into Practice », International Journal of Refugee Law, vol. 34, n° 3‑4, 2022, pp. 440‑448.
- Rashidi, P., « Indigenous Peoples at the Heritage–Climate Change Nexus : Examining the Effectiveness of UNESCO and the IPCC’s Boundary Work », Review of International Studies, vol. 51, n° 1, 2025, pp. 42‑63.
- Rucavado Rojas, D. et Postigo, J. C., « The Cycle of Underrepresentation : Structural and Institutional Factors Limiting the Representation of Global South Authors and Knowledge in the IPCC », Climatic Change, vol. 178, n° 2, 2025, p. 19.
- Sherpa, P. Y., « Relevance of the Sixth IPCC Assessment Report to Indigenous Lived Realities », AlterNative : An International Journal of Indigenous Peoples, vol. 21, n° 3, 2025, pp. 463‑471.
- van Bavel, B., MacDonald, J. P. et Dorough, D. S., « Indigenous Knowledge Systems », in K. De Pryck et M. Hulme (éd.), A Critical Assessment of the Intergovernmental Panel on Climate Change, Cambridge, Cambridge University Press, 2022, pp. 116‑125.
- van der Geest, K., de Sherbinin, A., Gemenne, F., et Warner, K., « Editorial : Climate migration research and policy connections : progress since the Foresight Report », Frontiers in Climate, vol. 5, 2023.
Pour citer cette note : Z. Briard, M. Courtoy, « Avis consultatifs international et interaméricain en matière climatique : quelques réflexions autour des (im)mobilités humaines », Cahiers de l’EDEM, octobre 2025.
[1] Les Accords de Cancún (§ 14, f) définissent trois formes de mobilité : les migrations, les déplacements et les relocalisations planifiées. L’immobilité, volontaire ou involontaire, est aujourd’hui généralement considérée comme une quatrième forme de mobilité climatique (van der Geest et al.).