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CRIADH, Avis consultatif 32/25, 29 mai 2025

cedie | Louvain-la-Neuve

cedie
17 November 2025, modifié le 20 November 2025

Face à l’urgence climatique, esquisse d’une feuille de route basée sur les droits humains pour encadrer les (im)mobilités humaines

Droits humains – Urgence climatique – Obligations des États – Mobilités humaines – Migration – Déplacement – Relocalisation – Immobilité – Droits substantiels – Droits procéduraux – Vulnérabilités – Catastrophes – Information – Participation – Consentement.

L’avis consultatif 32/25 rendu par la Cour interaméricaine des droits humains, portant sur l’urgence climatique et les droits humains, est d’ores et déjà reconnu comme un jalon du contentieux climatique. Bien que la décision ait une portée plus large, la Cour y aborde notamment la question des mobilités climatiques, qui constitue le principal objet du présent commentaire. Dans cet avis, la Cour insiste d’abord sur le fait qu’il existe des obligations dans le chef des États de prévenir l’occurrence des mobilités climatiques. Dans l’hypothèse où elles devaient tout de même avoir lieu, la Cour reconnait alors une série d’autres obligations afin de les encadrer, et ce quelle que soit leur forme : migration, déplacement (interne ou international), relocalisation ou immobilité. En détaillant ces obligations, la Cour dresse une ébauche de feuille de route basée sur les droits humains pour que les États encadrent les (im)mobilités climatiques. Incomplète, certes, elle constitue tout de même un tournant novateur dans la prise en charge de ces questions. 

Zoé Briard

A. Avis 

Le 3 juillet 2025, la Cour interaméricaine des droits humains (ci-après, la Cour ou la CrIADH) a rendu son avis consultatif 32/25, adopté le 29 mai 2025, sur l’urgence climatique et les droits humains. Cette décision était très attendue et a déjà fait beaucoup parler d’elle. Parmi les nombreuses questions abordées dans cet avis, la Cour évoque les liens entre changements climatiques et mobilités humaines liées au climat[1], les impacts de ces mobilités sur les droits humains ainsi que les obligations étatiques correspondantes. 

Dans cette présentation de l’avis, j’aborderai d’abord sa procédure et sa structure (1). Ensuite, je reviendrai sur quelques-unes des évolutions jurisprudentielles majeures de cet avis (2). Enfin, je m’attarderai plus spécifiquement sur la partie de l’avis portant sur les mobilités climatiques (3).

1. Procédure et structure de l’avis

Le 9 janvier 2023, les Républiques du Chili et de la Colombie (ci-après, le Chili et la Colombie ou les parties requérantes) ont introduit une demande d’avis consultatif portant sur l’urgence climatique et les droits humains auprès de la Cour. Ce document soulevait 20 questions relatives aux obligations des États découlant de la Convention américaine relative aux droits humains (ci-après, la Convention) et parfois également, du Protocole additionnel à la Convention américaine relative aux droits humains traitant des droits économiques, sociaux et culturels (ci-après, le Protocole de San Salvador) (§ 27). À leur côté, les parties requérantes mobilisent également de nombreux autres instruments[2]

De manière similaire, les développements de la Cour s’appuient sur et s’inspirent de diverses sources légales, de traités, de jurisprudence, d’instruments de soft law et d’observations écrites. Avec 263 observations écrites (§ 8) reçues de la part de plus de 600 entités du monde entier et 180 délégations entendues lors des audiences publiques relatives, étalées sur cinq jours entre avril et mai 2024 à la Barbade et au Brésil (§ 10), ce processus consultatif est le plus participatif de l’histoire de la Cour (comme l’indique le communiqué de presse 48/2025 de la CrIADH).

Telles que formulées par le Chili et la Colombie, les questions posées à la Cour avaient pour objet l’interprétation d’obligations générales – de leur respect, de leur garantie ainsi que de leur adéquation normative – et le respect des droits humains – tant substantiels que procéduraux – qui pourraient se voir affecter par l’urgence climatique (§ 27). Ces interrogations portaient, entre autres, sur l’étendue du devoir de précaution, le droit à l’accès à l’information ou encore les mobilités climatiques. 

La Cour va reformuler les 20 questions posées par les parties requérantes en trois questions plus générales (§§ 27-28). La première a pour but de clarifier l’étendue des obligations des États de respecter, garantir et prendre les mesures nécessaires afin de rendre effectifs les droits substantiels face aux impacts ou aux menaces générées ou exacerbées par l’urgence climatique. La seconde interroge les mêmes obligations, mais relatives aux droits procéduraux cette fois-ci. La troisième ne se concentre pas sur une catégorie de droits mais sur certains titulaires de ces droits : les groupes en situation de vulnérabilité dans le contexte de l’urgence climatique (§ 28). Par « groupes en situation de vulnérabilité », la Cour entend notamment les enfants, les défenseur·euse·s de l’environnement, les peuples autochtones, les communautés afrodescendantes et les paysan·ne·s (§ 28).

L’avis de la Cour est scindé en deux parties distinctes (§§ 30-32). De manière très didactique et factuelle, la première fait état des causes et des effets concrets des changements climatiques, de la réponse internationale et des développements légaux adoptés pour faire face à la situation (§§ 42-216). Afin d’établir les faits nécessaires qui soutiendront son analyse juridique, la Cour reconnait s’appuyer particulièrement sur les rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (ci-après, le GIEC), ceux-ci constituant la meilleure source d’orientation scientifique disponible concernant les changements climatiques (§ 33). La seconde présente la réponse aux trois questions telles que reformulées par la Cour (§§ 217-629). 

2. Un aperçu de quelques évolutions jurisprudentielles majeures de l’avis 

Cette sous-section aborde plusieurs des enseignements remarqués de cet avis qu’il nous apparait nécessaire de mentionner pour avoir une vue d’ensemble de la décision. Ce, d’autant plus que certains s’entremêlent aux parties portant sur les mobilités climatiques. 

L’avis, comme son titre l’indique, et conformément à la demande du Chili et de la Colombie, se penche sur la notion d’urgence climatique (§§ 181-216). Selon la Cour, cette dernière s’inscrit dans un contexte plus large de triple crise planétaire combinant changements climatiques, pollution globale et perte de la biodiversité, ce que la Cour avait déjà énoncé dans son arrêt du 4 juillet 2024, Affaire Pueblo Indígena U’wa y sus miembros Vs. Colombia. Fonds, Réparations et Frais (§ 304). Suivant les termes de la demande d’avis consultatif, la Cour décide de se concentrer sur les changements climatiques (§ 42) et entérine cette situation d’urgence climatique (§ 183) sur base de la meilleure science disponible (§ 182) ainsi qu’en raison du besoin urgent d’actions efficaces, de la gravité des impacts et de la complexité des réponses requises (§ 184). 

Face à cette urgence climatique et s’appuyant sur l’avis consultatif du Tribunal international du droit de la mer (ci-après, TIDM) sur le changement climatique et le droit international du 21 mai 2024, la Cour reconnait un devoir de diligence renforcé de prévenir les dommages prévisibles des changements climatiques (§§ 231-237). La Cour reconnait que ce devoir, dans le contexte de l’urgence climatique, ne constitue une obligation de droit humain accomplie que si elle prend en compte le risque spécifique pesant sur les droits menacés ainsi que le degré de vulnérabilité des titulaires de ce droit (§§ 235-236). La Cour reconnait également la Nature et ses composantes comme sujets de droits (§§ 279-286). Estimant cette reconnaissance nécessaire afin de protéger les écosystèmes face à la triple crise planétaire (§ 279), la Cour réalise une évolution post-anthropocentrique novatrice (voy. Auz, voy. aussi Amor Vásquez et Amor-Jürgenssen). Dans cette lignée, la Cour ajoute que l’interdiction de causer des dégâts massifs et irréversibles à l’environnement est une norme de jus cogens (§ 293). 

En 2017, la Cour avait reconnu l’existence d’un droit humain à un environnement sain dans son avis consultatif 23/17 rendu à la demande de la Colombie également (§§ 47, 96 et 126). Dans ce nouvel avis, la Cour va un pas plus loin en reconnaissant un droit humain à un climat sain (§ 300). Ce dernier protège notamment les intérêts collectifs des générations présentes et futures ainsi que la Nature en elle-même (§§ 302-311) et également la possibilité pour chaque personne de se développer dans un système climatique libre d’interférences anthropogéniques dangereuses (§ 303) (voy. Herencia-Carrasco et Pamplona). La Cour souligne que tous les États de l’Organisation des États américains (ci-après, l’OEA) ont l’obligation de prévenir les dommages climatiques sur base du droit à un environnement sain (§ 325) et que le seuil du réchauffement à +1,5 °C doit être compris comme un point de départ minimal et non d’arrivée (§ 326). La Cour reconnait également que, sur base des principes de responsabilités communes mais différenciées et d’équité intergénérationnelle ainsi qu’intragénérationnelle, la magnitude de la charge d’atténuation de chaque État doit être déterminée sur base de (i) sa contribution actuelle et historique cumulée au changement climatique, (ii) sa capacité à contribuer aux mesures d’atténuation et, enfin, (iii) des circonstances dans lesquelles il se trouve (§ 327).

Dans cet avis consultatif, la Cour ne se concentre pas uniquement sur les droits substantiels. En ce sens, la Cour affirme que les droits procéduraux constituent une condition essentielle afin d’assurer la légitimité et l’effectivité des décisions prises pour faire face à l’urgence climatique (§ 458). Parmi ces droits, la Cour aborde le droit à la science et à la reconnaissance des savoirs locaux (§§ 471-487), l’accès à l’information (§§ 488-529), la participation politique (§§ 530-539), l’accès à la justice (§§ 540-560) et le droit à défendre les droits humains (§§ 561-587). Dans cette dernière partie, la Cour reconnait également un devoir de protection des défenseur·euse·s de l’environnement (§§ 562, 575-576, 581-587). 

Avant de passer à la suite de ce commentaire qui se concentre plus spécifiquement sur les enseignements de l’avis au sujet des mobilités climatiques, je mentionnerai cette analyse de Juan Auz. Selon lui, le devoir de coopération est central dans la réflexion de la Cour : il est envisagé ici comme un standard du devoir de diligence renforcé. Ce faisant, la Cour réalise un glissement, des réponses nationales fragmentées vers des efforts internationaux plus coordonnés. En effet, la Cour insiste sur le fait que les obligations des États relatives au système climatique constituent des obligations de moyens. Ce faisant, la Cour évite les formules prescriptives comme cela a déjà été fait dans d’autres arrêts, Fondation Urgenda c. l’État des Pays-Bas et Verein KlimaSeniorinnen Schweiz et autres c. Suisse notamment. Au contraire, la Cour insiste ici sur le fait que les États doivent agir de bonne foi, sur base de la science, de l’équité ainsi que des droits humains et choisit donc plutôt d’intégrer des principes axés sur la justice dans son raisonnement juridique.

3. Les mobilités climatiques en lumière

La dernière des questions posées par le Chili et la Colombie dans leur demande d’avis consultatif portait sur les mobilités climatiques. Faisant état que l’un des impacts de l’urgence climatique est d’aggraver les facteurs menant à la mobilité humaine, en ce compris la migration et les déplacements forcés de personnes, la question suivante était posée : « Quels sont les obligations et les principes qui doivent guider les mesures individuelles et coordonnées que doivent adopter les États de la région afin de faire face à la mobilité humaine non volontaire, exacerbée par l’urgence climatique » (traduction libre de la Solicitud de Opinión Consultiva) ?

Comme expliqué ci-dessus, les questions initiales ont été reformulées par la Cour et elles ne mentionnent plus directement les mobilités climatiques sous leur nouvelle forme. Toutefois, la Cour a abordé les mobilités à plusieurs reprises, à la fois dans la première partie de l’avis, présentant la situation climatique actuelle et la seconde qui apporte une réponse aux trois questions telles que reformulées par la Cour. 

– Lien entre changements climatiques[3] et mobilités humaines

La Cour commence par rappeler que la hausse du niveau de la mer générera des déplacements forcés (§ 76) et que les catastrophes climatiques aussi peuvent entraîner des déplacements ainsi que des mouvements migratoires (§ 95). Elle cite également la migration parmi les impacts des changements climatiques (§ 97). Or, chaque gigatonne de gaz à effet de serre supplémentaire et chaque degré augmentant la température globale va multiplier de manière exponentielle le nombre de personnes exposées à des déplacements (§ 195). Ces conséquences démontrent, entre autres, la gravité extrême des impacts climatiques et sont prises en compte par la Cour pour définir l’urgence climatique (§ 195).

La Cour souligne que toutes les populations ne font pas face à ces risques de manière égale. De plus en plus confrontées à des difficultés liées à l’accès à l’eau et à l’alimentation ainsi qu’à la réduction des terres habitables, les personnes habitant les petits États insulaires des Caraïbes et du Sud du Pacifique font face au risque grandissant de devoir se relocaliser (§§ 102-103) alors que certains territoires des Caraïbes pourraient devenir quasi inhabitables (§ 116). La Cour explique que ces impacts sont particulièrement sévères en Amérique latine et dans les Caraïbes (§ 104). 

Au sujet de la temporalité, la Cour reconnait que ces conséquences sont déjà perceptibles de nos jours et qu’à mesure que les évènements climatiques extrêmes s’intensifient, le déplacement à grande échelle se fait plus prononcé (§ 103). La Cour relève à ce sujet qu’en 2021, il était estimé qu’en Amérique latine 17,1 millions de personnes étaient déplacées en raison des changements climatiques, soit 2,6 % de la population de la région (§ 103). La Cour souligne également qu’entre 2012 et 2022, il est estimé que près de 5,3 millions de personnes ont été déplacées de manière interne en conséquence de catastrophes naturelles dans les Caraïbes et que les projections tendent à prédire que ce chiffre va augmenter (§ 116). 

La suite et la plupart des enseignements de la Cour sur les mobilités climatiques se trouvent dans la partie de l’avis apportant une réponse à la question portant sur les droits substantiels et, parmi ceux-ci, le droit à la vie privée ainsi que la liberté de circulation et de résidence. 

Le droit à la vie privée et familiale (§§ 403-405)

Au niveau du droit à la vie privée (tel que garanti par les articles 11.2 et 17.1 de la Convention et 15 du Protocole de San Salvador), la Cour reconnait que les atteintes des changements climatiques au logement et à la propriété peuvent être constitutives d’une violation du droit à la vie privée et familiale (§ 403). Pour ce faire, la Cour mentionne notamment la décision du Comité des droits de l’Homme des Nations Unies (ci-après, le CDH) quant au cas Daniel Billy et autres c. Australie. Elle ajoute ensuite que les violations du droit à la liberté de résidence, dues aux migrations et aux déplacements involontaires, peuvent porter atteinte à l’unité du noyau familial (§ 403). 

« Dans le but de prévenir et d’atténuer les impacts de l’urgence climatique sur le droit à la vie privée et familiale, les États ont l’obligation de : (i) s’assurer que les politiques climatiques portant sur la mobilité humaine causée par une catastrophe climatique ou par la dégradation progressive de l’environnement incluent des mécanismes effectifs afin de garantir l’unité ou, quand cela est pertinent, la réunification familiale ; (ii) de créer des registres et des bases de données afin de localiser les familles séparées par des déplacements climatiques, facilitant la réunification et l’accès aux services de support social nécessaires ; (iii) de concevoir et de mettre en place des protocoles d’urgence afin d’enregistrer et de protéger les mineur·e·s non accompagné·e·s (enfants et adolescent·e·s) durant les catastrophes climatiques et les processus de déplacements postérieurs, assurant une réunification rapide avec leurs familles ; (iv) de concevoir et de mettre en place des programmes communautaires qui offrent, dans les sites de relocalisation, des services de soutien en santé physique et mentale, de conseils juridiques et d’assistance sociale pour les familles affectées par les désastres climatiques ; (v) établir et mettre en place des protocoles afin de protéger l’accès et l’usage des données personnelles fournies par les familles aux autorités nationales ou aux agences internationales durant le processus de mobilité et (vi) de collaborer avec d’autres États afin d’établir des accords bilatéraux et régionaux qui protègent le droit à la l’unité familiale des personnes en situation de mobilité suite à une catastrophe climatique ou à la dégradation progressive de l’environnement » (traduction libre, § 404). 

« En outre, le tribunal ajoute qu’au vu de la valeur essentielle dont jouissent le logement et la propriété pour le développement de la vie privée, les États ont l’obligation de : (i) garantir que les logements assignés aux familles relocalisées en conséquence des changements climatiques disposent d’un espace suffisant ainsi que d’un accès adéquat aux services de base requis afin de préserver le bien-être et l’intimité du groupe familial et (ii) s’assurer que les logements en question se trouvent à proximité de centres éducatifs, médicaux en plus des services nécessaires à la subsistance et à la cohésion du groupe familial » (traduction libre, § 405). 

– La liberté de circulation et de résidence (§§ 414-434)[4]

La Cour se concentre ensuite sur la liberté de circulation et de résidence (telle que garantie par l’article 22 de la Convention). Citant le rapport annuel A/HRC/10/61 du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les droits humains du 15 janvier 2009, la Cour rappelle que les changements climatiques favorisent la mobilité humaine dans quatre scénarios distincts : (i) les catastrophes liées aux phénomènes météorologiques tels que les ouragans et les inondations ; (ii) la détérioration graduelle de l’environnement et les catastrophes qui apparaissent lentement comme la désertification, l’affaissement des zones côtières et la possible immersion totale des États insulaires de basse altitude ; (iii) l’augmentation des risques de catastrophes qui entraineraient la relocalisation de personnes hors des zones à haut risque et (iv) la violence et l’agitation sociale attribuables à des facteurs en lien avec les changements climatiques (§ 415). 

Au sujet de la liberté de circulation, la Cour souligne que les changements climatiques génèrent différentes formes d’atteintes. Dans un premier temps, la Cour reconnait que les catastrophes peuvent générer des migrations ou des déplacements involontaires de forme directe et/ou indirecte, c’est-à-dire quand les catastrophes s’ajoutent à des situations de vulnérabilité et à des facteurs de déplacements préexistants tels que les conflits, la violence, la pauvreté, l’insécurité alimentaire ou des inégalités (§ 416). Dans un second temps, la Cour explique que les migrations et les déplacements forcés peuvent être produits par d’autres impacts des changements climatiques tels que la perte de terres fertiles, la sécheresse, l’instabilité dans les cycles de l’eau, la perte de cultures, l’augmentation du niveau de la mer ou l’augmentation drastique des températures venant s’ajouter à l’insécurité alimentaire, aux pénuries d’eau ou à l’insécurité physique liée au fait de rester dans le lieu de résidence habituelle, le manque d’emploi ou de revenus et la perturbation des modes de vie (§ 417). Dans un troisième temps, la Cour reconnait que les impacts des changements climatiques peuvent également affecter une partie de la population qui se trouve déjà dans une situation de déplacement forcé, aggravant dans ce cas les risques qui pèsent sur ces personnes et les poussant à de nouveaux déplacements, alors prolongés et continus (§ 418). 

Finalement, s’appuyant sur la résolution n° 2/24 sur la mobilité humaine induite par les changements climatiques (p. 6) de la Commission interaméricaine des droits humains (ci-après, la Commission), la Cour constate également que, dans certains cas, les impacts des changements climatiques ont conduit à l’immobilité de personnes ou de communautés qui vivent dans zones affectées par ou exposées à des risques d’évènements climatiques. Soit parce qu’elles ne peuvent ni s’adapter ni migrer, l’immobilité étant alors involontaire. Soit parce qu’elles ne souhaitent pas migrer ou être déplacées pour des raisons notamment culturelles, traditionnelles, économiques ou sociales, l’immobilité étant alors volontaire (§ 419). 

Prenant appui sur les observations écrites envoyées par l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés (ci-après, le UNHCR), la Cour confirme que la plupart des personnes en situation de mobilité dans le contexte des changements climatiques sont des déplacé·e·s internes. Toutefois, il existe également des cas de migrations transfrontalières pour des raisons climatiques. La Cour ajoute qu’elle a déjà reconnu, dans ses arrêts Valle Jaramillo y otros Vs. Colombia (§ 139) et Masacre de la Aldea Los Josefinnos Vs. Guatelmala (§ 77), qu’en raison de la complexité du phénomène de déplacement interne et de la vaste gamme de droits humains affectés ou en danger, ainsi que des circonstances de vulnérabilité et de manque de protection particulières dans lesquelles se trouvent généralement les personnes déplacées, leur situation peut être comprise comme une condition de facto de « déprotection ». Cette vulnérabilité accrue serait renforcée par leur origine rurale et toucherait particulièrement les femmes cheffes de famille (§ 420).

Au niveau de la durée des déplacements et se basant à nouveau sur les observations écrites du UNHCR, la Cour souligne que ces derniers impliquent souvent d’abandonner son domicile et de se retrouver dans une situation de déplacement durant plusieurs mois ou années, et ce que ces mouvements soient internes ou internationaux (§ 421). 

Dans son avis consultatif 23/17 (§ 66), la Cour avait déjà reconnu que les impacts environnementaux pouvaient porter atteinte au droit à la paix, en ce que les déplacements causés par la dégradation de l’environnement mènent fréquemment à des conflits violents entre la population déplacée et les personnes vivant sur le territoire où les déplacés arrivent (§ 421). « Face au panorama décrit, la Cour souligne que les États ont l’obligation d’adopter des mesures afin de prévenir, en conformité avec un standard de devoir de diligence renforcé, les migrations et les déplacements forcés liés de manière directe ou indirecte aux catastrophes et aux autres impacts des changements climatiques. La Cour rappelle l’importance de concevoir et de mettre en place des mesures adéquates afin de s’assurer de la protection des secteurs et des groupes de la population exposés aux catastrophes et aux autres effets des changements climatiques. Ces mesures, entre autres liées à la protection des sources de revenus, de la sécurité alimentaire et hydrique et des logements adéquats, doivent faire partie des politiques publiques relatives à l’avancée du développement durable, comme aux objectifs et aux stratégies d’atténuation ainsi qu’aux objectifs et plan d’adaptation » (traduction libre, § 422). 

La Cour écrit également que « la protection des droits à la vie, à l’intégrité personnelle, à la santé, à la vie privée et familiale, à un environnement sain, à la propriété privée, au logement, au travail et à la sécurité sociale, à l’eau, à l’alimentation, à la culture et l’éducation est essentielle afin de prévenir la mobilité forcée qui peut être occasionnée de manière directe ou indirecte par les effets des changements climatiques » (traduction libre, § 423). Toutefois, la Cour reconnait également que les mesures adoptées par l’État pour protéger les droits humains pourraient s’avérer insuffisantes pour prévenir les conditions qui poussent à la migration ou au déplacement forcé dans le contexte de l’urgence climatique. Pour cette raison, les États doivent également disposer de politiques publiques, institutionnelles et budgétaires afin de répondre aux besoins de la population en situation de mobilité involontaire. Ces politiques doivent également prendre en compte l’éventuelle intersection de facteurs qui peuvent accentuer la vulnérabilité ainsi que la situation dans laquelle se trouvent les personnes affectées avant, durant et après la mobilité (§ 424). 

Conformément aux Principes de base et directives concernant les expulsions et les déplacements liés au développement, adoptés le 5 février 2007, dans lAnnexe 1 du rapport de Miloon Kothari, le Rapporteur spécial sur le logement, la Cour souligne que le droit à la relocalisation inclut « le droit à un terrain de remplacement de qualité égale ou supérieure, ou à un logement qui doit réunir les critères ci-après : accessibilité matérielle et financière, habitabilité, sécurité d’occupation, respect du milieu culturel, situation adéquate et accès aux services essentiels tels que la santé et l’éducation » (Principe n° 16). D’après le même document, la Cour rappelle que les procédures visant à protéger ce droit s’appliquent à tous les groupes indépendamment de la détention d’un titre de propriété sur l’habitation ou sur les biens (§ 426). 

La Cour souligne que dans le cas particulier de la relocalisation ou du déplacement d’une communauté autochtone sans possibilité de retour à cause des changements climatiques, de la détérioration de l’environnement et/ou de phénomènes climatiques à évolution lente, ces personnes devront accéder à des terres dont la qualité et le statut juridique sont similaires à celles qu’elles occupaient antérieurement et qui leur permettent de subvenir à leurs besoins ainsi que garantir leur développement futur. Quand les peuples autochtones préfèrent recevoir une indemnisation pécuniaire ou en espèces, une telle indemnisation devra leur être concédée avec les garanties appropriées (§ 427). 

La Cour ajoute que l’État devra s’abstenir de tout comportement qui pourrait exposer les personnes dans une situation de mobilité à des risques considérables qui menacent leur vie, leur intégrité physique ou leur dignité. Dans ce but, il est indispensable de concevoir et de mettre en place des stratégies pour prévenir les potentiels risques sur les routes de transit, d’établir des abris temporaires et des zones de relocalisation sûres ; de monitorer et de prévenir la traite de personnes, et d’habiliter le personnel chargé de l’assistance et de la protection des personnes déplacées à prévenir l’abus de pouvoir et d’autres vulnérabilités de leurs droits humains. Dans ce contexte, les États doivent en outre garantir que les personnes déplacées reçoivent, sans discrimination, l’attention humanitaire adéquate et l’accès aux services essentiels tels que l’alimentation, l’eau et l’hygiène de base, l’attention médicale et sanitaire de base ainsi que l’éducation. Une telle attention devra être accessible, disponible et de qualité, afin d’anticiper les mécanismes d’attention prioritaire pour les personnes en situation de vulnérabilité. L’État doit adopter les mesures nécessaires afin d’assurer le respect de l’unité familiale dans les processus de mobilité humaine ; garantir des conditions sûres pour la mobilité ainsi que des standards adéquats de logement, et protéger les droits sur les biens et les propriétés reléguées dans les processus de mobilité (§ 428).

Les relocalisations doivent avoir lieu seulement dans des circonstances exceptionnelles, quand elles sont inévitables et nécessaires à cause du caractère invivable caractérisant la maintenance d’établissements humains dans des zones sujettes au danger et afin de préserver la vie, l’intégrité et la santé des populations concernées. Les États ont l’obligation de disposer d’un cadre juridique approprié régissant les processus de relocalisation planifiée, conformément aux normes internationales et régionales en matière de respect des droits humains. Ce cadre doit définir les responsabilités institutionnelles correspondantes et établir des mécanismes adéquats pour assurer une réparation intégrale aux personnes affectées. De même, les États ont l’obligation de garantir le droit des personnes à retourner volontairement dans leur lieu d’origine, dès lors que cela est possible et que leur vie, leur dignité et leur santé sont préservées. Les États doivent également mettre à la disposition des personnes déplacées, qu’elles soient relocalisées ou qu’elles retournent dans leur lieu d’origine, des mécanismes leur permettant de récupérer les terres, logements, biens et autres possessions qu’elles ont dû abandonner (§ 429).

La Cour souligne également que la protection effective des droits humains des personnes en situation de mobilité requiert la coopération active des différents États (§ 430). La Cour souligne qu’il est de la responsabilité de la communauté internationale de se concerter et d’opérationnaliser des fonds internationaux qui, en conformité avec les principes d’équité, de solidarité et des responsabilités communes mais différenciées, permettent aux pays les plus vulnérables de faire face à la mobilité humaine générée par les changements climatiques (§ 431). 

« Conformément à ce qui a été indiqué précédemment, la Cour considère que, afin de protéger, respecter et garantir le droit à la liberté de résidence et de circulation, les États doivent encourager une coopération efficace entre les acteurs locaux, nationaux et régionaux impliqués dans la conception et la mise en œuvre des politiques portant sur la mobilité climatique. En particulier, les États doivent coopérer afin de : (i) renforcer les mécanismes bilatéraux et les stratégies régionales visant à protéger les droits humains des personnes déplacées en raison des changements climatiques ; (ii) garantir une protection consulaire et une assistance humanitaire aux personnes en situation de mobilité et de crise dans les pays de transit et de destination ; (iii) désigner des points de contact permettant aux familles des personnes déplacées disparues d’accéder à l’information, tout en protégeant leur vie privée ; (iv) récupérer, identifier et rapatrier les dépouilles des personnes déplacées décédées, en respectant les souhaits de leurs familles ; (v) garantir la sécurité et faciliter une mobilité transfrontalière sûre et régulière ; (vi) établir des accords d’assistance technique afin d’améliorer la gestion des frontières, y compris la recherche, le sauvetage et la réponse aux situations d’urgence ; et (vii) mettre en œuvre des cadres et accords assurant que le retour et la réadmission des personnes déplacées pour des raisons climatiques se fassent en toute sécurité, dans la dignité et dans le respect du droit international des droits humains » (traduction libre, § 432).

« La Cour estime que les États doivent établir un cadre normatif approprié prévoyant, au niveau interne, des mécanismes légaux et/ou administratifs effectifs afin de garantir la protection juridique et humanitaire des personnes déplacées à travers les frontières internationales en raison des effets des changements climatiques. Les États doivent mettre en place des mécanismes efficaces pour assurer la protection humanitaire de ces personnes, notamment par la création de catégories migratoires adaptées, telles que les visas humanitaires, l’autorisation de séjours temporaires, et/ou la protection au titre du statut de réfugié ou d’autres statuts similaires, qui puissent leur offrir une protection contre le refoulement. La Cour observe que les mesures mentionnées doivent être adoptées sans préjudice des solutions à long terme qui devront être mises en œuvre dans le cadre d’une coopération et d’une gestion responsable et coordonnée de la mobilité humaine au niveau international » (traduction libre, § 433).

– Les droits procéduraux (§ 425)

La Cour souligne que toutes les mesures mentionnées afin de répondre aux besoins des personnes en situation de mobilité liés aux changements climatiques doivent également assurer la pleine validité des droits procéduraux, en accord avec les standards établis dans la suite du présent avis (§ 425). 

« Les mesures ayant pour but de protéger les droits des personnes et des communautés à risques de ou en situation de déplacement causé par les changements climatiques doivent inclure des mécanismes d’accès à l’information et à la participation au sujet de la définition de la nature et du niveau de risque auquel ces personnes font face, des potentielles mesures d’atténuation du risque, des alternatives face à lui, des routes d’évacuations sûres, des adresses de facilités locales d’assistance, de l’accompagnement des autorités et des conditions dans lesquelles il doit être donné, comme les plans de refuges, de retour ou de relocalisations, le cas échéant. L’information fournie doit également prendre en compte les défis liés à l’accès à l’information, comme l’analphabétisme, l’incapacité, les barrières linguistiques, la distance et l’indisponibilité de technologie d’information et de communication. Afin de procéder à la relocalisation ou au retour, il sera nécessaire d’obtenir l’accord des populations concernées, garantissant leurs droits procéduraux. En outre, les autorités devront informer dans un délai raisonnable, la date prévue pour la relocalisation ou les retours des groupes affectés. L’État doit également prévoir des mécanismes de sensibilisation destinés aux autorités pertinentes, aux communautés et aux groupes de la population à risque d’expérimenter des processus de mobilité climatique » (traduction libre, § 425).

– Les droits culturels (§ 449)

La Cour reconnait également que les évènements météorologiques extrêmes et l’augmentation du niveau de la mer menacent le droit de participation à la vie culturelle, et ce notamment en raison des déplacements involontaires (§ 449).

– Groupes vulnérables ; les enfants, les femmes, les personnes âgées et les personnes en situation de handicap (§§ 434 et 614)

Enfin, la Cour clôt la partie de l’avis relative au droit substantiel de la liberté de circulation en évoquant le groupe vulnérable des enfants. À ce sujet, « la Cour rappelle que les enfants migrants et déplacés figurent parmi les groupes les plus vulnérables aux effets néfastes des changements climatiques, lesquels peuvent avoir des répercussions sur leur santé physique et mentale ainsi que sur leur accès à l’éducation. Compte tenu de ce qui précède, la Cour considère que les États ont, en plus des obligations relatives aux enfants migrants prévues dans l’avis consultatif OC-21/14, le devoir de coopérer pour concevoir et mettre en œuvre des politiques et des stratégies nationales et régionales visant à garantir les droits des enfants dans les processus de mobilité climatique. Ces politiques devront tenir compte, le cas échéant, des Principes directeurs pour les enfants en mouvement dans le contexte du changement climatique » (traduction libre, § 434).

Dans la partie de l’avis portant sur la réponse à cette troisième question, la Cour ajoute que dans le cadre de l’urgence climatique, les catastrophes naturelles, soudaines comme d’évolution lente, la dégradation environnementale et les déplacements forcés peuvent affecter de manière différenciée certains groupes de personnes tels que les femmes, les personnes âgées et les personnes en situation de handicap (§ 614). 

B. Éclairage

Avec l’avis consultatif 32/25, la Cour esquisse une feuille de route basée sur les droits humains pour encadrer les mobilités humaines face à l’urgence climatique. Dans un contexte où les mobilités liées au climat sont déjà une réalité (§§ 103, 116 et 420), cet avis est le premier qui aborde cette question de manière transversale. 

Selon Marilia Gagliardi et Ignacio Odriozola, ce caractère transversal a pour conséquence que les droits liés à la mobilité humaine ne peuvent être réduits à ceux spécifiquement détaillés dans les sections de l’avis portant sur ce sujet. Au contraire, ces droits doivent inclure tous les aspects et les devoirs mentionnés dans l’avis qui ont trait, de manière directe ou indirecte, au droit de rester, migrer ou retourner. 

En tant que tel, cet avis consultatif est non contraignant et sa mise en place repose sur la volonté des États. Toutefois, les avis consultatifs peuvent avoir des conséquences concrètes, lors d’un prochain recours devant la même Cour, via leur exécution volontaire ou leur utilisation par des cours nationales (voy. Namanya, voy. aussi Arévalo Ramírez et Rousset Siri). D’autres organes internationaux pourraient également le mentionner pour appuyer leurs arguments. Depuis le 28 octobre 2025, c’est d’ailleurs chose faite. Dans son arrêt Greenpeace Nordic et autres c. Norvège, la Cour européenne des droits de l’homme : « se réfère aux observations de la Cour interaméricaine des droits de l’homme dans son opinion consultative OC-32/25 » (§ 322)[5]. Cette référence prometteuse confirme qu’il se pourrait que cet avis mène à la création de nouvelles obligations contraignantes ou, qu’à tout le moins, il renforce les bases légales protégeant les personnes en situation de mobilités climatiques. Dans les deux cas, cet avis pourra créer de nouvelles opportunités pour tenir les États responsables dans ce contexte (voy. le Center for Gender and Refugee Studies (ci-après, CGRS), voy. aussi Serna Mosquera et Chiemi)

Dans cet éclairage, nous allons revenir sur plusieurs points qui nous semblent importants à détailler ou à mettre en contexte. L’objectif de l’avis au sujet des mobilités climatiques, c’est-à-dire les prévenir autant que faire se peut et les encadrer quand elles surviennent tout de même, est d’abord détaillé (1). Ensuite, l’éclairage se concentre plus spécifiquement sur certaines formes de mobilité : l’immobilité (2), les relocalisations planifiées (3) et les déplacements internationaux (4). Enfin, il aborde la question des causes des mobilités climatiques ainsi que la question des vulnérabilités dans ce contexte (5).

1. Mobilités climatiques : prévenir quand c’est possible, encadrer quand c’est nécessaire

Comme cela a été évoqué dans la première partie de ce commentaire, la Cour établit de nombreuses obligations à charge des États afin de prévenir et d’encadrer les mobilités climatiques. Suivant la construction de l’avis, les liens entre changements climatiques et mobilités humaines sont d’abord abordés (§§ 76, 95, 102-104, 116 et 195). Dans ce contexte, la Cour revient ensuite sur les obligations ayant pour but de prévenir les atteintes et de protéger le droit à la vie privée et familiale (§§ 403-405) puis, de protéger la liberté de circulation et de résidence (§§ 414-434). Dans cette partie, la Cour souligne que les mesures prises par les États dans ce contexte doivent également assurer les droits procéduraux des personnes en situation de mobilité (§ 425). Dans l’approche adoptée par la Cour, ce dernier point est fondamental en ce qu’il permet d’assurer la légitimité et l’effectivité des décisions prises pour faire face à l’urgence climatique (§ 458). La Cour rappelle ensuite que les enfants migrants et déplacés figurent parmi les groupes les plus vulnérables et que les mesures prises doivent en tenir compte (§ 434). La Cour évoque également les risques que les déplacements forcés posent pour les droits culturels (§ 449). Enfin, la Cour ajoute que ces situations peuvent affecter de manière différenciée les femmes, les personnes âgées et les personnes en situation de handicap (§ 614). 

Une autre manière d’analyser les obligations consacrées dans cet arrêt est celle de la temporalité des mobilités. La Cour traite des mobilités de manière globale, elle les encadre avant qu’elle n’aient lieu, pendant leur occurrence et à long terme si cela est nécessaire. En ce sens, la Cour réaffirme, sur base de sa jurisprudence, le droit de chaque personne de rentrer dans son pays et d’y demeurer ainsi que le droit de ne pas être déplacé de manière forcée d’un État partie ou de devoir quitter de manière forcée le territoire d’un État dans lequel cette personne réside légalement (§ 414). La Cour souligne que les États ont l’obligation d’adopter des mesures afin de prévenir et d’atténuer les migrations et les déplacements forcés liés, de manière directe ou indirecte, aux catastrophes et aux autres impacts des changements climatiques (§ 422). La Cour reconnait également que « les États doivent s’abstenir d’adopter des politiques ou des mesures qui détruisent ou privent les personnes de leurs logements ou de leurs biens affectés par des catastrophes climatiques, sans une compensation ou une relocalisation adéquates » (traduction libre, § 412). Toutefois, la Cour admet que ces mesures adoptées pourraient s’avérer insuffisantes et que, pour cette raison, les États doivent également disposer de politiques publiques, institutionnelles et budgétaires qui encadrent ces mobilités (§ 424). Ces politiques doivent également prévoir, en dernier recours, une forme de mobilité organisée afin de s’adapter à ces situations inévitables, les relocalisations (§ 429). Ce faisant, comme le soulignent Riemer et Scheid, la Cour opère un changement de paradigme : les mobilités climatiques, antérieurement traitées comme une préoccupation humanitaire, sont maintenant envisagées comme établissant des obligations contraignantes en matière de droits humains qui doivent être prises en charge au niveau de leur prévention comme de leur encadrement. 

Comme cela avait été souligné dans la demande d’avis consultatif, la Cour aborde à la fois les obligations individuelles des États et leurs obligations coordonnées. Ces mesures sont multiples et ne concernent pas uniquement les situations de mobilité internationale, elles incluent également des mobilités ayant lieu sur d’autres territoires et se justifient par les principes d’équité, de solidarité et des responsabilités communes mais différenciées (§§ 253, 430-432, 434).

2. L’immobilité, cette autre forme de mobilité climatique

En 2010, les Accords de Cancún, adoptés lors de la COP16, reconnaissent trois formes de mobilités climatiques : la migration, les déplacements et les relocalisations planifiées (§ 14, f). Généralement, les migrations se distinguent des déplacements, en ce que les premières, au contraire des seconds, seraient volontaires. Toutefois, la frontière entre ces deux formes de mobilité est très souvent floue en pratique. Depuis 2010, l’immobilité, qu’elle soit volontaire ou involontaire, a généralement été considérée comme une quatrième forme de mobilité climatique (voy. van de Geest et al.). En ce que chacune de ces quatre formes est mentionnée dans l’avis consultatif 32/25, la Cour reconnait la diversité de réalités qui se trouvent derrière les « mobilités climatiques ». 

Si, à première vue, il peut paraitre surprenant de qualifier de « mobilité » son antonyme, il existe en réalité un continuum entre immobilité et mobilité. Comme l’explique la Cour, il est possible que des personnes qui pourraient être dans une situation de mobilité à cause des changements climatiques ne le soient pas, soit parce qu’elles ne le peuvent pas, renvoyant alors au concept de « populations piégées », soit parce qu’elles ne le souhaitent pas (§ 419).

À ce sujet, comme mentionné ci-dessus, la Cour réalise un lien intéressant, le seul de l’avis vers ce document, et renvoie vers la définition de l’immobilité retenue par la résolution n° 2/24 de la Commission (p. 6). Cette dernière constitue l’un des organes principaux et autonomes de l’OEA. Elle a pour mandat de promouvoir et de protéger les droits humains sur le continent américain. Dans ce contexte, la Commission rend notamment des résolutions qui ont pour but de donner des recommandations aux États sur un sujet donné. La résolution dont il est question porte sur les droits des personnes en situation de mobilité pour cause des effets des changements climatiques. 

La Cour ne prévoit pas d’obligations légales encadrant spécifiquement les cas d’immobilité. Toutefois, d’après le CGRS, il semble clair que les obligations générales de prévenir les déplacements ainsi que de protéger les personnes qui font face à des risques climatiques s’appliquent également aux personnes en situation d’immobilité. Une question demeure : comment appliquer ces obligations générales en cas d’immobilité volontaire ? La Cour reconnait qu’il faut obtenir le consentement des personnes concernées afin de mettre en place un processus de relocalisation planifiée (§ 425) mais elle reste silencieuse quant à l’hypothèse d’un refus de se voir relocalisé. Une telle situation implique de nouvelles interrogations, telles qu’épinglées par Marie Courtoy. Les gens devraient-ils être autorisés à choisir de poursuivre un mode de vie de plus en plus dangereux, même au détriment de leur sécurité ? Jusqu’où une personne peut-elle vivre dans le risque ? Et comment le droit peut-il s’y adapter ?

Dans sa résolution n° 2/24, la Commission va plus loin que la Cour au sujet des immobilités volontaires. Elle reconnait notamment que les États ont avant tout l’obligation de respecter leurs devoirs de prévention, d’atténuation et d’adaptation afin de garantir le droit de ces groupes à choisir leur lieu de résidence (§ 21). Les États doivent également respecter les facteurs sur lesquels reposent le choix des personnes de demeurer dans leur lieu d’origine ou de résidence et assurer l’habitabilité de ces lieux (§ 22). Enfin, lorsque l’exposition au risque d’événements climatiques est élevée et ne peut être ni atténuée ni adaptée, au point de mettre en danger le droit à la vie, à l’intégrité personnelle et à la liberté des personnes ou des communautés, les États ont l’obligation de créer les conditions nécessaires pour garantir une migration dans la sécurité et la dignité et, en dernier recours, de créer des programmes de relocalisation planifiées (§ 23). 

3. Les enseignements de la Cour sur les relocalisations planifiées : des précisions qui amènent de nouveaux questionnements 

La Cour aborde les relocalisations planifiées à de nombreuses reprises. Dans cette sous-section, seuls certains points qui nous semblent nécessiter plus de développements seront abordés. 

La Cour entérine l’obligation de disposer d’un cadre juridique approprié régissant les processus de relocalisation planifiée, et ce conformément aux normes internationales et régionales de droits humains (§ 429). Or pour le moment, très peu d’États disposent d’un cadre légal adapté. Quelques exceptions sont la République des Fidji, les Îles Salomon et l’Uruguay. Une fois ces normes adoptées, faut-il encore les respecter et disposer d’une approche globale des relocalisations planifiées. L’approche de la Cour est très intéressante à ce niveau en ce qu’elle prescrit également des obligations d’établir des abris temporaires, de concevoir et de mettre en place des mesures afin de prévenir les risques qui pourraient survenir sur les routes de transit (§ 428). Ce faisant, la Cour reconnait que les obligations des États ne commencent pas au moment de la décision de relocaliser ou lors du choix du lieu de destination. Lorsque les futurs bénéficiaires d’une relocalisation sont dans une situation de déplacement, l’État est aussi redevable d’obligations envers ces personnes.

La Cour souligne aussi qu’afin de respecter les droits procéduraux des populations concernées, il faut obtenir leur accord (§ 425). Ce dernier point est largement reconnu dans la littérature (voy. McAdam et Ferris) et le principe semble clair énoncé comme ceci. Cependant, la pratique pourrait s’avérer un peu plus complexe en ce que les populations concernées forment rarement, pour ne pas dire jamais, un tout homogène. Qu’en est-il alors du cas où une seule personne s’opposerait au processus de relocalisation ? Ou de façon moins anecdotique, quelle proportion des bénéficiaires devrait donner son accord afin de reconnaitre l’obtention de ce dernier ? Cette décision se prendrait-elle de manière individuelle ou à l’échelle du groupe ? De plus, cet accord pourrait-il être conditionné à la réalisation de certaines exigences ? Enfin, si un·e ou plusieurs bénéficiaires devaient refuser leur relocalisation, ces personnes se retrouveraient de facto dans une situation d’immobilité volontaire. Auquel cas, les questions soulevées ci-dessus se poseraient également. Ces interrogations émergent aussi quant à la sélection du ou des sites de destination des processus de relocalisation ou, de manière plus générale, en cas de retour et de réadmission de personnes en situation de mobilité. 

La Cour reconnait également que les relocalisations ne doivent être mises en place que lorsqu’elles sont inévitables et nécessaires à cause de l’inhabitabilité de la zone et afin de préserver la vie, l’intégrité et la santé des populations concernées (§ 429). Par cette position, la Cour s’aligne sur l’interprétation généralement admise selon laquelle ces processus constituent une mesure de dernier recours mais ne répond pas directement à la question suivante : comment déterminer le « dernier recours » ? Quels savoirs doivent être pris en compte dans ce contexte ? Certains développements de la Cour semblent apporter ici quelques éléments de réponse. La Cour reconnait notamment que toute personne a le droit d’accéder aux bénéfices de mesures basées sur la meilleure science disponible ainsi que les savoirs locaux, traditionnels et autochtones (§§ 477-478). La Cour dit également qu’afin d’assurer le respect des droits procéduraux, les mesures prises dans ce contexte doivent inclure des mécanismes d’accès à l’information et à la participation au sujet du niveau de risque auquel ces personnes font face, des potentielles mesures d’atténuation du risque et des alternatives face à lui (§ 425). D’autres points restent flous. Par exemple, qu’arriverait-il si, comme cela avait déjà été soulevé par Ferris et Bower, les bénéficiaires du potentiel projet de relocalisation étaient en désaccord avec l’analyse de risque réalisée ou si ces personnes ne faisaient pas confiance en leurs décideur·euse·s ?

En s’appuyant sur les Principes de base et directives concernant les expulsions et les déplacements liés au développement, la Cour établit certaines des conditions que doit respecter le terrain de remplacement et exclut les restrictions d’accès au projet fondées sur un titre de propriété (§ 426). Ce faisant, la Cour rend communes les obligations encadrant des relocalisations ayant des causes différentes. Un tel rapprochement entre les relocalisations qui se déroulent dans des contextes de déplacement, que ce soit dans le cas de catastrophes et/ou de conséquences des changements climatiques, durant des conflits armés ou dans le cadre de projets de développement, a également été suggéré par David Cantor qui propose un concept universel de relocalisation. Une telle assimilation ouvre la porte à l’applicabilité d’autres obligations, normalement pertinentes dans le cas de relocalisations ayant lieu dans d’autres contextes. 

Dans le cas particulier de la relocalisation ou du déplacement de peuples autochtones, la Cour souligne qu’il faudra leur offrir la possibilité d’accéder à des terres dotées d’une qualité et d’un statut juridique similaires à celles occupées antérieurement ainsi que garantissant leurs besoins et leur développement futur. S’ils le préfèrent, ces peuples auront également le choix de recevoir une indemnisation pécuniaire ou en espèces (§ 427). Comme le soulignent Gagliardi et Odriozola, d’autres groupes auraient pu être mentionnés aux côtés des peuples autochtones et, parmi eux, les populations ripariennes ou les quilombos. Il faudra probablement se référer à des décisions antérieures qui assimilent ces groupes à des communautés autochtones afin de leur garantir les droits reconnus ici.

Un autre point de tensions lors de la mise en place des processus de relocalisations concerne leur financement. Quand elles sont correctement mises en place, les relocalisations sont des processus qui coûtent très cher (voy. Ferris et Bower) mais à qui revient-il la responsabilité de les payer ? À nouveau, la Cour semble offrir une piste de réponse en affirmant qu’il est de la responsabilité de la communauté internationale de se concerter et d’opérationnaliser des fonds internationaux qui, en conformité avec les principes d’équité, de solidarité et des responsabilités communes mais différenciées, permettent aux pays les plus vulnérables de faire face à la mobilité humaine générée par les changements climatiques (§ 431). Il faudra maintenant attendre de voir si ce point est suivi et, auquel cas, quelle forme prendront ces fonds internationaux. 

4. Le cas des déplacements internationaux : des développements au goût de trop peu

Au sujet des déplacements internationaux, la Cour souligne la responsabilité partagée des États (§§ 431-432) et, en conséquence, la nécessité de leur coopération (§§ 404, 430-433). Elle recommande notamment l’adoption de catégories de migration appropriées telles que les visas humanitaires, l’autorisation de séjours temporaires, et/ou la protection au titre du statut de réfugié ou d’autres statuts similaires, qui puissent leur offrir une protection contre le refoulement (§ 433). Pour appuyer son propos, la Cour cite notamment l’Agenda pour la protection des personnes déplacées au-delà des frontières dans le cadre de catastrophes et de changements climatiques de l’Initiative Nansen, le Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières ainsi que la Déclaration et le Plan d’action 2024-2034 adoptés au Chili

Ce faisant, la Cour renforce l’applicabilité des cadres légaux existants portant sur les droits des réfugiés et les droits humains dans le contexte de mobilités causées par les changements climatiques (voy. CGRS). Reste à voir toutefois si les cadres légaux nationaux portant sur le droit d’asile et des réfugiés vont être amendés en ce sens et, auquel cas, s’ils feront référence à cet avis consultatif (voy. Namanya). Une autre possibilité, plus probable peut-être, consisterait en une modification du droit des migrations, à l’instar de l’Union Falepili, le traité bilatéral adopté en novembre 2023 et établissant une voie spéciale de mobilité humaine entre l’Australie et Tuvalu.

En outre, comme cela a été relevé par plusieurs commentateur·rice·s de cette décision (voy. CGRSFelipe Pérez et Namanya) et au contraire de la résolution n° 2/24 (§§ 28-30), la Cour ne met pas fin aux débats sur la manière dont les systèmes existants pour les réfugiés et les droits humains, et plus particulièrement la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés et la Déclaration de Carthagène sur les réfugiés, s’appliquent dans un tel cas de figure. Comme le souligne le CGRS, ceci est d’autant plus regrettable que la Déclaration de Carthagène (§ III, 3) comporte une définition plus élargie du terme de « réfugié »[6] et que cet instrument dispose d’une importance particulière pour la région. En conséquence, selon le CGRS, cette dernière avait le potentiel de fournir une base pour une telle protection. Similairement, la Cour aurait pu renforcer l’applicabilité de la Déclaration et du Plan d’action 2024-2034 adoptés au Chili dans lesquels les États d’Amérique latine et des Caraïbes s’engagent politiquement à offrir une protection légale aux personnes déplacées par les changements climatiques et les catastrophes, y compris quand ces déplacements sont internationaux. Au contraire, la Cour ne les mentionne qu’une seule fois dans son avis, en note de bas de page. 

La Cour manque également l’opportunité d’entériner l’application du principe de non-refoulement qui a lui aussi été reconnu par la résolution n° 2/24 (§ 39) (voy. Namanya et Navarro). Au contraire, il n’est mentionné qu’une fois dans tout l’avis (§ 433) et la Cour renvoie, en note de bas de page, au cas de Teitiota. Dans ses Constatations relatives à la communication n° 2728/2016, Ioane Teitiota c. Nouvelle-Zélande du 24 octobre 2019, le CDH avait admis sur le principe, qu’en vertu de l’article 6 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, l’obligation de non-refoulement « peut s’appliquer aux personnes pour lesquelles les effets des changements climatiques menacent leur droit à la vie ou à ne pas être soumis à des traitements cruels, inhumains ou dégradants » (pour un commentaire de cet arrêt, voy. Courtoy). Toutefois, le CDH ne s’était pas prononcé sur le moment à partir duquel cette obligation s’appliquerait et la Cour ne nous apporte donc pas plus d’informations à ce sujet. 

Le silence de la Cour à ce sujet est d’autant plus remarqué que, parmi les observations reçues par la Cour, 30 ont directement répondu à la question posée par le Chili et la Colombie sur les mobilités climatiques et au minimum 50 d’entre elles ont reconnu le besoin de protéger les individus déplacés à travers des frontières à cause des changements climatiques (voy. CGRS). Trente observations invitaient également la Cour à reconnaitre l’application du principe de non-refoulement dans ce contexte (voy. Navarro).

5. Causes et vulnérabilités face aux mobilités climatiques

La Cour souligne que tous les pays ne font pas face aux mêmes risques de mobilités humaines et que certains sont plus vulnérables que d’autres à ces phénomènes (§§ 102-104). Par la suite, la Cour ajoute qu’au sein d’un même État, tout le monde ne va pas être affecté par les risques de mobilité humaine de la même façon. Comment s’expliquent ces différences de vulnérabilités ? Parfois, les catastrophes s’ajoutent à d’autres impacts des changements climatiques (§ 417), à des situations de déplacements (§ 418), de vulnérabilité ou encore à des facteurs de déplacements préexistants tels que les conflits, la violence, la pauvreté, l’insécurité alimentaire ou des inégalités (§ 416). 

Certains groupes de personnes sont plus susceptibles de se retrouver dans une situation de mobilité climatique. Parmi eux, la Cour identifie les enfants (§ 434), les femmes, les personnes âgées et les personnes en situation de handicap (§ 614). De manière plus générale, les défenseur·euse·s de l’environnement, les peuples autochtones, les communautés afrodescendantes et les paysan·ne·s sont également reconnus par la Cour comme des groupes en situation de vulnérabilité.

Comme le soulignent Riemer et Scheid, en reconnaissant ces vulnérabilités particulières vécues par certaines personnes qui vont être plus affectées par les mobilités climatiques, la Cour innove et s’éloigne d’approches plutôt centrées sur les États, telles que suivies par la Cour européenne des droits de l’homme dans l’arrêt Verein KlimaSeniorinnen Schweiz et autres c. Suisse (pour un commentaire de cet arrêt, voy. Jalocha). 

En outre, tirant des conclusions de cette situation, la Cour impose aux États d’adopter une approche intersectionnelle face à l’urgence climatique. En effet, elle affirme que les politiques ayant pour but de répondre aux besoins de la population en situation de mobilité involontaire doivent prendre en compte l’éventuelle intersection de facteurs pouvant accentuer la vulnérabilité et la situation des personnes affectées avant, durant et après leur mobilité (§ 424).La Cour dresse également plusieurs obligations qui tiennent compte de ces vulnérabilités ou des risques particuliers qui affectent certains groupes de personnes : les enfants (§ 434) ou les personnes avec une diversité de genre ou LGBTQI+ (§ 618). À ce sujet, la Cour reconnait également qu’étant donné la stigmatisation et la discrimination à l’égard de ces dernières, elles font face à des risques plus élevés de violences de genre durant et après les catastrophes induites par le climat. En conséquence, les États ont l’obligation de garantir des endroits sûrs ainsi que des soins de santé inclusifs et sans discrimination dans ces contextes (§ 618). 

En reconnaissant l’existence d’autres facteurs, indirects et sociaux, politiques ou environnementaux, en plus des catastrophes ou autres effets des changements climatiques qui vont participer à l’occurrence d’une situation de mobilité climatique, la Cour reconnait que les vulnérabilités face aux changements climatiques, en plus de ne pas être hermétiques à l’influence humaine, sont fluctuantes. En ce sens, comme le souligne le CGRS, la Cour ne considère pas les déplacements comme une réponse à des évènements climatiques isolés mais à des risques structurels et cumulés. La Cour ne va toutefois pas jusqu’à contester le qualificatif « naturel » qui accompagne « catastrophe ». Pourtant, d’aucuns disent qu’il n’existe pas de catastrophe qui soit « naturelle » et que les nommer de cette manière serait inapproprié. Le fait est que, dans presque chaque cas, les personnes pauvres et marginalisées sont bien plus affectées par ces catastrophes que d’autres parties de la population. Qualifier ces dernières de « naturelles » invisibilise donc leur nature socialement construite, les facteurs induits par l’homme qui transforment ces aléas naturels en catastrophes (voy. Puttick, Bosher et Chmutina) et dissout les responsabilités.

C. Conclusion 

Même si une partie des répercussions de cet avis va dépendre de la volonté des États à le mettre en place, l’avis de la Cour interaméricaine « représente un pas dans la bonne direction » et un « modèle pour d’autres systèmes de protection des droits humains » (voy. Namanya). En abordant les (im)mobilités de manière transversale et de par les obligations qu’elles consacre à ce sujet, la Cour dresse une ébauche de feuille de route basée sur les droits humains pour que les États encadrent les (im)mobilités dans le contexte de l’urgence climatique. Incomplète, certes, cette ébauche constitue tout de même un tournant novateur dans la prise en charge de ces questions.

L’avis de la Cour interaméricaine a été rendu quelques semaines avant celui de la Cour internationale de justice sur les obligations des États en matière de changement climatique. Le 2 mai 2025, la Cour africaine des droits humains et des peuples a, à son tour, été saisie d’une demande d’avis consultatif sur les obligations des États à l’égard de la crise liée au changement climatique. Dans ce contexte, il est intéressant de se pencher sur les potentielles synergies entre ces différentes juridictions. Se concentrant sur les mobilités climatiques, ce numéro spécial des Cahiers de l’EDEM tente de s’atteler à cette tâche. 

D. Pour aller plus loin

Lire l’arrêt : CrIADH, Avis consultatif 32/25, Emergencia climática y derechos humanos, 29 mai 2025. 

Jurisprudence : 

Résolution :

  • CIADH, Résolution 2/24, « Sobre movilidad humana inducida por el cambi climático », 26 décembre 2024.

Doctrine :  

Pour citer cette note : Z. Briard, « Face à l’urgence climatique, esquisse d’une feuille de route basée sur les droits humains pour encadrer les (im)mobilités humaines », Cahiers de l’EDEM, octobre 2025. 
 


[1]La Cour mentionne la « mobilité humaine » ou la « mobilité climatique » au singulier. Toutefois, dans ce commentaire, la version plurielle de ces termes sera préférée en ce qu’elle permet de mieux embrasser la diversité de réalités qui se cachent derrière ces vocables. À ce sujet : I. Boas et al., “Climate Migration Myths”, Nature Climate Change, vol. 9, n° 12, 2019, pp. 901‑903.

[3] Si la Cour parle du changement climatique au singulier, dans ce commentaire seront préférés les termes « changements climatiques » au pluriel afin de mieux refléter la multitude de conséquences du réchauffement global. 

[4]Dans la convention, telle que traduite en français, il est fait mention du « droit de déplacement et de résidence ». Toutefois, étant donné que ce commentaire se concentre, entre autres, sur les déplacements forcés et afin d’éviter toute confusion, la formulation suivante y sera préférée « liberté de circulation et de résidence ». 

[5]La Cour internationale de justice le cite également dans son avis consultatif du 23 juillet 2025 sur les obligations des États en matière de changement climatique mais seulement à titre d’exemple de décision de juridiction régionale des droits de l’homme en lien avec les effets néfastes des changements climatiques (§ 385). 

[6]Selon ce paragraphe : « la définition ou le concept de réfugié dont l’application est à recommander dans la région pourrait, non seulement englober les éléments de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967, mais aussi s’étendre aux personnes qui ont fui leur pays parce que leur vie, leur sécurité ou leur liberté étaient menacées par une violence généralisée, une agression étrangère, des conflits internes, une violation massive des droits de l’homme ou d’autres circonstances ayant perturbé gravement l’ordre public » (nous soulignons).