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CIJ, Avis consultatif du 23 juillet 2025, obligations des États en matière de changement climatique

cedie | Louvain-la-Neuve

cedie
17 November 2025, modifié le 18 November 2025

Justice climatique en demi-teinte à La Haye : le choix d’une lecture ambitieuse mais formaliste du droit international

Cour internationale de justice (CIJ) – Avis consultatif – Assemblée générale des Nations Unies – Changement climatique – Obligations erga omnes – Responsabilité des États – Attribution – Causalité – Réparation – Obligation de prévenir les dommages significatifs à l’environnement – Obligation de coopération – Élévation du niveau de la mer – Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) – Accord de Paris – 1,5 °C – Diligence requise – Responsabilités communes mais différenciées et capacités respectives – Équité – Droit à un environnement propre, sain et durable – Droits humains – Justice climatique – (Im)mobilités – Déplacements – Migrations – Principe de non-refoulement – Teitiota – Protection internationale – Relocalisations planifiées – Adaptation – Daniel Billy – Petits États insulaires en développement.

L’avis consultatif de la Cour internationale de justice en matière de changement climatique est historique : par le taux de participation à la procédure, par l’unanimité du verdict, et par le dispositif à de nombreux égards. Prévenir les dommages significatifs au système climatique, notamment via la réduction des émissions de gaz à effet de serre, et coopérer en ce sens sont reconnus comme étant des obligations coutumières, erga omnes, engageant la responsabilité des États et donnant lieu à réparation. En interrogeant la CIJ, les petits États insulaires en développement, à l’origine de la résolution de l’Assemblée générale des Nations Unies, interpellent sur un enjeu commun à l’humanité par lequel ils sont particulièrement affectés. La justice climatique, qui sous-tend la requête, y est toutefois traitée de manière formaliste et dépolitisée. La question des mobilités humaines, qui se posera de manière singulière pour ces États mais fera aussi partie des réponses de l’ensemble des États aux changements climatiques, est également abordée de manière superficielle.

Marie Courtoy

A. Avis consultatif

Le 12 avril 2023, le secrétaire général des Nations Unies transmettait à la Cour internationale de Justice (CIJ) les questions que l’Assemblée générale des Nations Unies avait décidé de lui poser au travers de la résolution 77/276 adoptée le 29 mars 2023. L’initiative vient d’étudiants en droit de l’Université du Pacifique Sud qui ont formé un collectif avec leurs professeurs, les Étudiants des Îles du Pacifique luttant contre le changement climatique. Ils ont réussi à convaincre le gouvernement de Vanuatu, qui s’est lui-même entouré d’un noyau dur formé par 18 États au nom desquels il a porté le projet de résolution. La résolution a été adoptée par consensus c’est-à-dire sans vote parce que sans opposition, et coparrainée par 132 États sur les 193 de l’Assemblée générale (§ 47).

La CIJ a rendu son avis consultatif le 23 juillet 2025[1]. L’engouement qu’il a suscité est historique. Avec plus de 250 interventions par des États et organisations internationales pendant la phase écrite et les audiences publiques, il s’agit du plus haut niveau de participation à une procédure jamais atteint dans l’histoire de la CIJ et celle de sa prédécesseuse, la Cour permanente de justice internationale (comme l’indique le communiqué de presse de la CIJ). L’avis consultatif a par ailleurs été adopté à l’unanimité, fait peu commun à la CIJ puisqu’il s’agit seulement du cinquième avis consultatif ainsi adopté sur les 29 rendus depuis sa création il y a plus de 80 ans (communiqué de presse de la CIJ). Il s’accompagne néanmoins de 12 opinions séparées par lesquelles s’expriment les juges qui ne s’estiment pas entièrement satisfaits de l’avis consultatif tel que formulé.

La requête interrogeait la CIJ (1) sur les obligations, en droit international, qui incombent aux États en matière de changement climatique[2] et (2) sur les conséquences juridiques de la violation par les États de ces obligations, à l’égard (i) des États, en particulier des petits États insulaires en développement, et (ii) des peuples et individus des générations présentes et futures.

1. Considérations préliminaires

D’entrée de jeu, la CIJ donne le ton :

« [I]l est établi, du point de vue scientifique, que le système climatique a connu des changements généralisés et rapides, notamment et en particulier une hausse des températures à la surface du globe qu’il est convenu d’appeler le “réchauffement planétaire”. Les changements climatiques résultent de l’accumulation dans l’atmosphère de certains gaz qui piègent le rayonnement solaire autour de la Terre, ce qui entraîne un effet de serre. Si certains GES [gaz à effet de serre] sont d’origine naturelle, il est scientifiquement établi que l’augmentation des concentrations de GES dans l’atmosphère est essentiellement due aux activités humaines […]. » (§ 72)

La CIJ poursuit en décrivant les conséquences « graves et profondes » des changements climatiques, se basant sur les rapports du Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC) dont les participants à la procédure se sont accordés à dire qu’ils constituaient les meilleures données scientifiques disponibles, et conclut en qualifiant les changements climatiques de « menace urgente et existentielle » (§ 73).

Elle justifie de ce fait l’interprétation très large qu’elle donne du champ d’application matériel de son analyse, au regard tant des comportements que des acteurs qui en sont à l’origine. La CIJ ne se limite pas à ceux qui émettent directement des GES mais y inclut « l’éventail complet des activités humaines qui contribuent aux changements climatiques par l’émission de GES, tant les activités de consommation que celles de production » (§ 94). Elle considère également que la portée matérielle englobe toutes les « actions ou omissions » des États, mais aussi « celles d’acteurs non étatiques relevant de leur juridiction ou de leur contrôle effectif » (§ 95).

La CIJ note enfin qu’elle est appelée à juger des obligations qui incombent aux États en la matière au regard du corpus entier du droit international. Par ailleurs, elle renvoie aussi dans son avis consultatif à la jurisprudence d’autres organes supranationaux. À propos du droit de la mer, elle expliquera que « [b]ien qu’elle ne soit pas tenue, dans l’exercice de ses fonctions judiciaires, de conformer sa propre interprétation de la CNUDM [Convention des Nations Unies sur le droit de la mer] à celle du TIDM [Tribunal international du droit de la mer], la Cour estime que, dans la mesure où elle est amenée à interpréter la convention, elle doit accorder une grande considération à l’interprétation adoptée par ce tribunal », dans un souci de clarté et de cohérence du droit international ainsi que de sécurité juridique (§ 338).

2. Obligations des États en matière de changement climatique

La CIJ énonce les obligations des États qui découlent de chaque source juridique, ce qui implique une certaine redondance et ne permet pas une vue d’ensemble. Résumer les 133 pages de décision m’a dès lors demandé une forme d’interprétation personnelle dans la structure. J’ai fait ici le choix de distinguer les obligations que je qualifierai d’écocentrées de celles que j’appellerai anthropocentrées. Il est évident que les obligations écocentrées, en protégeant la nature, sont aussi généralement bénéfiques aux individus, comme le rappelle la CIJ elle-même lorsqu’elle affirme que la jouissance des droits humains dépend de la protection de l’environnement (§ 373). Je ne présuppose dès lors pas que la protection de l’environnement soit dépourvue d’intérêts pour les humains. À l’inverse, certaines obligations que je qualifie d’anthropocentrées peuvent également contribuer à la protection de l’environnement, comme la restauration d’écosystèmes, indiquée comme exemple d’adaptation efficace par le GIEC et reprise par la CIJ (§ 86). La distinction n’est donc pas aussi tranchée que ne le suppose la structure mais présente l’avantage de donner une certaine lisibilité.

i. Obligations écocentrées

Les obligations dites écocentrées se focalisent sur la protection de l’environnement et constituent la majeure partie de l’avis consultatif.

- Les traités climatiques et en particulier l’accord de Paris : le retour de 1,5 degré et la diligence requise

« [S]i l’accord de Paris définit l’objectif de contenir la hausse de la température moyenne de la planète nettement en dessous de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels, et, de manière plus ambitieuse, de la limiter à 1,5 °C, c’est ce dernier objectif de 1,5 °C qui est considéré par tous, sur la base des données scientifiques, comme celui qu’il convient de poursuivre en vertu de l’accord » (§ 224). La CIJ considère les décisions rendues lors des conférences des parties (COP) qui ont suivi l’adoption de l’accord de Paris (1/CMA.3 et 1/CMA.5) et dans lesquelles l’objectif de 1,5 °C est indiqué comme l’objectif à poursuivre, comme des accords ultérieurs devant guider l’interprétation de l’accord de Paris au sens de l’article 31, § 3, (a), de la Convention de Vienne sur le droit des traités. Cette lecture audacieuse se pressentait déjà dans le contexte scientifique défini par la CIJ, où elle avait insisté sur le constat selon lequel « les risques et les effets néfastes projetés, de même que les pertes et dommages connexes, résultant des changements climatiques s’aggraveraient avec chaque augmentation du réchauffement planétaire » (§ 83).

Pour atteindre cet objectif de 1,5 °C, l’accord de Paris prévoit que les États adoptent des contributions nationalement déterminées (CDN) : ils indiquent les mesures qu’ils s’engagent à prendre pour atteindre ce but commun. La CIJ précise à cet égard que « la marge de discrétion dont disposent les parties pour établir leurs CDN est limitée. De ce fait, en usant de leur marge de discrétion, les parties sont tenues d’exercer la diligence requise et de veiller à ce que leurs CDN soient conformes aux obligations leur incombant en vertu de l’accord de Paris et que, prises ensemble, elles leur permettent de parvenir à l’objectif de température consistant à limiter le réchauffement de la planète à 1,5 °C par rapport aux niveaux préindustriels, ainsi qu’à l’objectif général de “stabiliser … les concentrations de gaz à effet de serre dans l’atmosphère à un niveau qui empêche toute perturbation anthropique dangereuse du système climatique” » (§ 245).

- L’obligation coutumière de prévenir les dommages significatifs à l’environnement et la diligence requise

La notion se retrouve aussi dans le champ coutumier, puisque les États doivent s’acquitter de leur obligation de prévenir les dommages significatifs à l’environnement avec la diligence requise (§ 280). Celle-ci impose aux États de prendre des mesures appropriées (§§ 281-282) eu égard aux informations scientifiques et technologiques disponibles qu’ils sont tenus d’obtenir (§§ 283-286) et aux règles et normes internationales pertinentes (§§ 287-289) en fonction de leurs capacités distinctes (§§ 290-292), y compris des mesures procédurales d’évaluation des risques et de l’impact sur l’environnement (§§ 295-298).

Pour y satisfaire, les États se doivent d’adopter l’approche ou le principe de précaution et d’agir même sans certitude scientifique, à partir du moment où existe un risque de dommages graves ou irréversibles à l’environnement (§§ 293-294). Cela est cohérent avec la détermination du risque de dommage significatif puisqu’il dépend, comme l’indique le TIDM dans son avis consultatif sur le changement climatique cité par la CIJ, « à la fois de la probabilité ou prévisibilité de survenance du dommage et de la gravité ou de l’ampleur de celui-ci ».

Par ailleurs, « [l]a Cour estime qu’un risque de dommage significatif peut aussi exister dans des situations où l’environnement pâtit sensiblement sous l’effet cumulatif de différentes actions entreprises par plusieurs États et par des acteurs privés soumis à leur juridiction ou à leur contrôle respectifs » (§ 276). C’est important en la matière puisque, contrairement aux dommages transfrontières entre pays voisins, « [c]’est la somme de toutes les activités qui contribuent aux émissions anthropiques de GES au fil du temps, et non une activité émettrice particulière, qui produit le risque de dommage significatif au système climatique » (§ 277).

Ainsi, et de manière fondamentale, la CIJ reconnait que « l’obligation de prévenir les dommages significatifs à l’environnement s’applique aussi au système climatique, qui fait partie intégrante et est une composante essentielle de l’environnement et qui doit être protégé pour les générations présentes et futures » (§ 273). L’obligation de protéger le climat est dès lors coutumière et s’impose à tous les États, qu’ils soient parties aux traités climatiques ou non.

- L’interrelation entre droit conventionnel et coutumier en matière climatique

La question se pose dès lors de la relation entre les deux types d’obligations en matière climatique, conventionnelles d’une part et coutumières d’autre part. S’appuyant sur sa jurisprudence Gabčíkovo-Nagymaros, la Cour considère « que les obligations découlant des traités relatifs aux changements climatiques, tels qu’interprétés dans le présent avis, et la pratique relative à leur application peuvent donner corps aux obligations coutumières générales et que, de même, ces dernières fournissent des indications pour l’interprétation des traités relatifs aux changements climatiques » (§ 313).

Elle en déduit « qu’un État non partie qui coopère avec la communauté des États parties aux trois traités relatifs aux changements climatiques comme le ferait, dans la pratique, un État partie puisse, dans certaines circonstances, être réputé honorer ses obligations coutumières du fait d’une pratique conforme au comportement exigé des États au titre des traités relatifs aux changements climatiques. À défaut de faire montre d’une telle coopération, en revanche, il lui appartient, et à lui seul, de démontrer que ses politiques et pratiques sont conformes à ses obligations coutumières » (§ 315).

L’interprétation des traités climatiques que donne la CIJ dans son avis consultatif est donc pertinente pour tous les États, y compris ceux qui n’en sont pas parties, de façon à s’assurer du respect de leurs obligations coutumières.

- L’équité et le principe de responsabilités communes mais différenciées et capacités respectives

Le problème des États particulièrement affectés est évoqué par les participants dans la seconde question de la requête, relative aux conséquences juridiques. Cependant, la CIJ considère que les règles de responsabilité et de réparation s’appliquent de la même manière à tout État dont les droits ont été bafoués (§ 109). En revanche, elle reconnait des obligations spécifiques envers ces États, qu’elle intègre dans sa réponse à la première question portant sur les obligations en matière de changement climatique.

Les obligations en matière climatique sont en effet différentes en fonction des États. Dans le dispositif de l’avis consultatif (§ 457), on retrouve le principe de responsabilités communes mais différenciées et capacités respectives (RCMD-CR), tant en droit conventionnel par rapport à l’accord de Paris (3Ae) qu’en droit coutumier vis-à-vis de l’obligation de prévenir les dommages transfrontaliers significatifs à l’environnement (3Ba). Par rapport à la convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC), la Cour établit que « [l]es États parties figurant à l’annexe I […] ont en outre l’obligation d’être à l’avant-garde de la lutte contre les changements climatiques en limitant leurs émissions de gaz à effet de serre et en renforçant leurs puits et réservoirs de gaz à effet de serre » (§ 457, 3, A, b).

La CIJ voit dans ce principe la reconnaissance de « la nécessité d’une répartition équitable de la charge imposée par les obligations en matière de changement climatique, compte tenu, entre autres, des contributions passées et actuelles des États aux émissions cumulées de GES, de leurs capacités actuelles et de leurs situations respectives, y compris en matière de développement économique et social » (§148). Ce principe est étudié aux paragraphes 148 à 151 comme une composante du principe d’équité, lui-même étudié aux paragraphes 152 à 154. La CIJ considère l’équité comme le fait, pour une juridiction, de « choisir entre plusieurs interprétations possibles celle qui lui paraît la plus conforme aux exigences de la justice dans les circonstances de l’espèce », se référant à l’affaire Plateau continental (§ 152). L’équité intergénérationnelle, aussi dérivée de l’équité au sens large, fait également l’objet d’une analyse au titre de principe de droit (§§ 155-157). Tous trois constituent des principes devant guider l’interprétation des règles applicables.

Toutefois, si la division entre pays développés et en développement[3] est pertinente, la CIJ considère qu’on ne peut s’y limiter. Au paragraphe 150, entre les États développés et les États les moins développés, elle évoque ainsi un entre-deux : « des États ayant considérablement progressé dans leur développement depuis l’adoption de la CCNUCC en 1992 […] et dont certains contribuent à présent grandement aux émissions mondiales de GES et sont en mesure de fournir des efforts concrets en matière d’atténuation et d’adaptation, ainsi que d’autres États disposant de ressources et de capacités techniques importantes leur permettant de contribuer à la lutte contre les changements climatiques ». La brèche avait déjà été ouverte dans l’accord de Paris en intégrant la référence aux « situations nationales » à côté du principe de RCMD-CR et de la différence entre pays développés et en développement.

Dans son appréciation des éléments qui fondent la diligence requise, la CIJ ne parle plus du principe de RCMD-CR, mais uniquement de « capacités distinctes », dont elle considère que l’évaluation est dynamique et évolue en fonction des circonstances propres à chaque État :

« Bien que les États développés, dans le contexte des changements climatiques, soient tenus d’adopter des mesures plus fermes pour prévenir les dommages environnementaux, et d’observer une norme de conduite plus exigeante, la norme requise dans chaque cas dépendra en dernier ressort de la situation particulière de chaque État, c’est-à-dire de “tous les moyens à sa disposition” (voir Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay), arrêt, C.I.J. Recueil 2010 (I), p. 56, par. 101). La différence entre les capacités respectives des États, en tant que l’un des facteurs qui détermine le niveau de diligence requise, ne peut dès lors tenir uniquement à la distinction entre pays développés et en développement, mais sera aussi fonction des situations propres à chaque État. Le caractère multifactoriel et évolutif de la norme de diligence requise implique que les exigences en matière de diligence augmentent à mesure que les États se développent économiquement et que leurs capacités s’accroissent. » (§ 292)

- L’obligation coutumière et conventionnelle de coopération

Outre l’engagement différencié, la capacité montre aussi le besoin de coopérer entre États. Lors de son analyse du devoir de coopérer au titre d’obligation coutumière dérivant de l’obligation de prévenir les dommages environnementaux transfrontières, la CIJ relève ainsi :

« Les changements climatiques constituent un sujet de préoccupation pour l’humanité tout entière. La coopération n’est pas pour les États une question de choix, mais une nécessité impérieuse et une obligation juridique. » (§ 308)

La coopération « de bonne foi, soutenue et continue » (§ 457, 3, A, b) s’impose donc à tous les États en tant qu’obligation coutumière. Mais coopérer est aussi une obligation conventionnelle au titre de plusieurs traités, notamment la convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (§ 457, 3, A, c) et l’accord de Paris qui précise que cela inclut « des transferts de technologie et des transferts financiers, dont ils doivent s’acquitter de bonne foi » (§ 457, 3, A, h).

La CIJ était interrogée par certains participants à la procédure sur la possibilité d’inclure l’allégement de la dette des pays en développement dans l’obligation de coopérer contenue dans l’accord de Paris. Elle a répondu que « les États sont libres de choisir les moyens de leur coopération, pour autant que ceux-ci soient cohérents avec les obligations de bonne foi et de diligence requise » (§ 262). La CIJ précise aussi, par rapport au niveau d’aide financière, qu’il doit permettre d’atteindre l’objectif de température collectif et qu’il « peut être évalué sur la base de plusieurs facteurs, dont la capacité des États développés et les besoins des États en développement » (§ 265).

Dans la section dédiée à l’élévation du niveau de la mer, la CIJ insiste sur le fait que « l’obligation de coopérer revêt une importance particulière dans ce contexte » et « repose sur la reconnaissance de l’interdépendance des États et du besoin de solidarité entre les peuples qui en résulte » (§ 364). Elle rappelle que « [l]a coopération visant à faire face à l’élévation du niveau de la mer n’est d’ailleurs pas laissée à la discrétion des États, mais constitue une obligation juridique » (§ 364).

ii. Obligations anthropocentrées

Mis à part dans l’analyse des droits humains, les individus sont peu présents dans l’avis consultatif. Les obligations dites anthropocentrées ne se retrouvent que dans de brèves mentions éparses.

- Le droit à un environnement propre, sain et durable comme condition de la jouissance des droits humains

La CIJ affirme le lien entre la protection de l’environnement et le respect des droits humains au paragraphe 373 : « L’environnement forme l’espace même de l’existence humaine, dont dépendent la santé et le bien-être des générations présentes comme futures (voir Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 241, par. 29). La Cour considère donc que sa protection est une condition préalable à la jouissance des droits de l’homme dont la promotion est l’un des buts des Nations Unies. » En découle logiquement pour les États « l’obligation, en vertu du droit international des droits de l’homme, de respecter et de garantir la jouissance effective des droits de l’homme en prenant les mesures nécessaires pour protéger le système climatique et d’autres composantes de l’environnement » (§ 457, 3, E). Elle renvoie également aux jurisprudences régionales, en particulier au récent avis consultatif sur l’urgence climatique et les droits humains de la Cour interaméricaine des droits de l’homme (CIADH) commenté par ailleurs dans ce numéro spécial et à l’arrêt KlimaSeniorinnen de la Cour européenne des droits de l’homme (§ 385).

Interrogée par plusieurs États sur le droit à un environnement propre, sain et durable, la CIJ reste ambiguë. La doctrine semble interpréter l’avis consultatif comme le fait que la CIJ ne le considère pas comme un droit autonome mais comme un principe essentiel pour la jouissance des autres droits humains. Pourtant, elle glisse subrepticement de la nécessité d’un environnement propre, sain et durable, à la nécessité d’un droit humain à un environnement propre, sain et durable, dans son développement au paragraphe 393 :

« [L]a Cour est d’avis qu’un environnement propre, sain et durable est une condition préalable à la jouissance de nombreux droits de l’homme, dont le droit à la vie, le droit à la santé et le droit à un niveau de vie adéquat, qui inclut l’accès à l’eau, à l’alimentation et au logement. Le droit à un environnement propre, sain et durable découle de l’interdépendance entre les droits de l’homme et la protection de l’environnement. Il est donc difficile de concevoir comment les États parties à des traités relatifs aux droits de l’homme, dans la mesure où ils sont tenus de garantir la jouissance effective de tels droits, pourraient s’acquitter des obligations ainsi mises à leur charge sans en même temps veiller à ce que le droit à un environnement propre, sain et durable en tant que droit de l’homme soit protégé. Le droit de l’homme à un environnement propre, sain et durable est par conséquent inhérent à la jouissance des autres droits de l’homme. La Cour en conclut que, au regard du droit international, le droit de l’homme à un environnement propre, sain et durable est essentiel à la jouissance des autres droits de l’homme. » (emphase ajoutée)

- L’obligation d’adaptation au-delà de l’obligation d’atténuation

Les traités climatiques prévoient des obligations en matière d’adaptation, tant dans la convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (§§ 209 et s.) que dans l’accord de Paris (§§ 255 et s.). L’un comme l’autre insiste sur l’obligation de coopération qui existe en la matière. La CIJ considère de plus que « l’absence de mesures d’adaptation adéquates prises en temps voulu par un État pour faire face aux effets néfastes des changements climatiques peut emporter violation du droit au respect de la vie privée et familiale et du domicile » (§ 381), se référant à la communication Daniel Billy du Comité des droits de l’homme des Nations Unies (CDHNU).

- Une mention succincte du principe de non-refoulement

Dans la section sur les droits humains, la CIJ aborde aussi la possible application du principe de non-refoulement aux individus amenés à fuir un environnement devenu menaçant pour leur vie (§ 378). La mention est toutefois succincte, renvoyant à la communication Teitiota du CDHNU.

- Les enjeux spécifiques à l’élévation du niveau de la mer

La CIJ aborde aussi le cas particulier des petits États insulaires en développement face à l’élévation du niveau de la mer, qui avaient fait valoir leur situation particulière. Elle considère d’une part que les États ne sont pas tenus de mettre à jour les délimitations de leurs zones maritimes (§ 362) et d’autre part, note simplement qu’« une fois qu’un État est établi, la disparition de l’un de ses éléments constitutifs n’entraînerait pas nécessairement la disparition pour cet État de sa condition étatique » (§ 363).

3. Conséquences juridiques en cas de violation par les États de leurs obligations en matière de changement climatique

Des obligations identifiées en droit international découle la possibilité d’engager la responsabilité juridique des États en cas de manquement, et ce de manière erga omnes, ouvrant droit à réparation.

- établissement de la responsabilité des États

La CIJ reconnait la nature particulière des changements climatiques au paragraphe 421 et estime nécessaire de clarifier deux questions qui se posent quand il s’agit d’appliquer les règles coutumières relatives à la responsabilité de l’État : l’attribution et la causalité.

La CIJ considère que la question de l’attribution ne pose pas de problème spécifique puisque « en principe, les règles du droit international coutumier sur la responsabilité de l’État peuvent s’appliquer à des situations où il existerait une pluralité d’États lésés ou d’États responsables […] et que la responsabilité d’un seul État dans un dommage peut être invoquée sans que celle de tous les États qui pourraient être responsables le soit » (§ 430). Elle en conclut donc que : « dans le contexte des changements climatiques, […] chaque État lésé peut séparément invoquer la responsabilité de tout État auteur d’un fait internationalement illicite causant des dommages au système climatique et à d’autres composantes de l’environnement. Et lorsque plusieurs États sont responsables du même fait internationalement illicite, la responsabilité de chaque État peut être invoquée par rapport à ce fait » (§ 431).

En ce qui concerne la question de la causalité, « la Cour conclut que, si le lien de causalité entre les actions ou omissions illicites d’un État et les dommages résultant des changements climatiques est plus ténu que lorsqu’il s’agit d’une pollution ayant des origines locales, il n’est cependant pas impossible à établir ; il s’agira simplement d’apprécier et d’établir ce lien de causalité in concreto dans chaque cas, tout en tenant compte des éléments susmentionnés énoncés par la Cour » (§ 438).

De manière fondamentale, « la Cour considère que tous les États ont un intérêt commun à protéger l’environnement de l’indivis mondial, tel que l’atmosphère et la haute mer. Il s’ensuit que les obligations qui leur incombent en ce qui concerne la protection du système climatique et d’autres composantes de l’environnement contre les émissions anthropiques de GES, en particulier l’obligation coutumière de prévenir les dommages transfrontières significatifs, sont des obligations erga omnes. Pour ce qui est du droit conventionnel, la Cour rappelle que la CCNUCC et l’accord de Paris qualifient les changements climatiques de “sujet de préoccupation pour l’humanité tout entière” (premier alinéa du préambule de la CCNUCC ; onzième alinéa du préambule de l’accord de Paris), qui appelle une “riposte mondiale” (article 2 de l’accord de Paris). Ces instruments visent à protéger l’intérêt essentiel de tous les États à sauvegarder le système climatique, au bénéfice de la communauté internationale dans son ensemble. C’est pourquoi la Cour considère que les obligations faites aux États par ces traités sont des obligations erga omnes partes » (§ 440).

- Conséquences juridiques d’un fait illicite

Si tout État est fondé à poursuivre un autre État ayant violé une obligation erga omnes, la CIJ précise qu’« [i]l existe cependant une différence entre la position des États lésés ou spécialement atteints, d’une part, et celle des États non lésés, d’autre part, en ce qui concerne les remèdes disponibles. Un État non lésé peut intenter une action contre un État qui manque à une obligation collective, mais il ne peut pas demander réparation pour lui-même. Il peut uniquement demander la cessation du fait illicite et des assurances et garanties de non-répétition, ainsi que l’exécution de l’obligation de réparation dans l’intérêt de l’État lésé ou des bénéficiaires de l’obligation violée » (§ 443).

Pour le reste, la CIJ considère que tout l’éventail des conséquences juridiques prévues par le droit de la responsabilité peut trouver à s’appliquer. « Il s’agit notamment des obligations de cessation et de non-répétition, conséquences qui s’appliquent indépendamment de l’existence d’un dommage, ainsi que de la réparation intégrale, incluant la restitution, l’indemnisation ou la satisfaction. La Cour note également que les manquements aux obligations des États n’ont pas d’incidence sur le devoir continu de l’État responsable de s’acquitter de l’obligation à laquelle il a été manqué » (§ 445). Elle évoque les formes classiques de réparation possibles (§§ 451-455), tout en précisant que « [l]a forme que doit prendre la réparation et l’étendue de celle-ci ne peuvent pas être évaluées dans l’absolu et dépendent des circonstances du cas considéré » (§ 450).

B. Éclairage

Au-delà des circonstances historiques qui entourent son adoption, l’avis consultatif est notable dans son dispositif et reflète l’importance que donne la CIJ aux questions soulevées dont elle explique qu’elles dépassent le cadre juridique et « concernent un problème existentiel de portée planétaire qui met en péril toutes les formes de vie et la santé même de notre planète » (§ 456). Prévenir les dommages significatifs au système climatique notamment via la réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) et coopérer en ce sens sont reconnus comme étant des obligations coutumières, erga omnes, engageant la responsabilité des États et donnant lieu à réparation. La CIJ estime que le droit conventionnel climatique offre des balises pertinentes pour ce faire même pour les États qui ne sont pas parties auxdits traités. La CIJ retient par ailleurs 1,5 °C par rapport aux niveaux préindustriels comme standard en dessous duquel maintenir l’augmentation de la température moyenne mondiale, interprétant l’accord de Paris à la lumière des décisions qui l’ont suivi dans les COP ultérieures. Elle s’aligne de ce fait sur les avis consultatifs de la TIDM et de la CIADH, au moment où les scientifiques affirment que le dépassement de cet objectif est désormais inévitable. Toujours par rapport à l’accord de Paris, la CIJ juge limitée la marge de discrétion des États dans leurs contributions nationalement déterminées et estime qu’ils sont tenus d’exercer la diligence requise de manière à atteindre, ensemble, ce standard. Elle s’inscrit ainsi à contre-courant de la tendance des États à la réticence face à tout engagement contraignant en la matière (Aykut et Dahan).

Dans une lecture de l’avis consultatif focalisée sur les humains victimes des changements climatiques, et donc sur les obligations anthropocentrées que la CIJ identifie dans le droit international actuel, la CIJ semble avoir mis de côté certaines voies, ou ne pas avoir suffisamment écouté certaines voix, en particulier – mais pas seulement – les petits États insulaires en développement à l’initiative de la requête. Ces derniers sont à l’avant-garde des actions en matière climatique (négociations lors des COP et avis consultatif du TIDM notamment). La question est pour eux existentielle à court terme, avec une part considérable de leurs territoires à faible altitude menacés par l’élévation du niveau de la mer. En interrogeant la CIJ, les petits États insulaires en développement interpellent sur un enjeu commun à l’humanité mais par lequel ils sont particulièrement affectés. La justice climatique, qui sous-tend la requête, est toutefois traitée de manière formaliste et dépolitisée. La question des (im)mobilités humaines[4], qui se posera de manière singulière pour ces États mais fera aussi partie des réponses de l’ensemble des États aux changements climatiques, est également abordée de manière superficielle.

1. Une justice climatique formaliste et dépolitisée

« La majestueuse égalité des lois interdit au riche comme au pauvre 
de coucher sous les ponts, de mendier dans les rues et de voler du pain. »[5]

C’est par une citation d’Anatole France que le juge Yusuf explique, dans son opinion séparée, son désaccord avec l’approche générale et abstraite adoptée par la Cour (§ 8). Il considère que la CIJ a volontairement omis de répondre à la seconde question qui lui était posée sur les conséquences juridiques en la reformulant de manière générale. Dans les paragraphes 108 et 109, la CIJ estime ainsi « qu’elle n’est pas appelée à déterminer la responsabilité d’un quelconque État ou groupe d’États au regard du droit international » ni « quelles seraient les conséquences juridiques spécifiques de tels manquements à l’égard d’États ou groupes d’États lésés en particulier ». Elle répète également au paragraphe 406 que « sa tâche est de définir, de manière générale, le cadre juridique au regard duquel il convient d’apprécier le comportement des États afin de déterminer si la responsabilité d’un État, ou d’un groupe d’États, est engagée à raison d’un manquement à ses obligations en matière de protection du système climatique ».

D’après le juge Yusuf, « [t]his is an approach rooted in extreme formalism and completely detached from the empirical realities and the scientific findings relating to the causes and consequences of climate change, as well as the generally acknowledged principle of common but differentiated responsibilities, which underpins the legal framework for combating the climate crisis for all » (§ 8). Il partage ainsi l’opinion de la juge Sebutinde, qui estime que la Cour « ignores or circumvents the fact that climate justice is at the heart of the General Assembly’s present request » et ne prend pas suffisamment en compte les preuves scientifiques qui démontrent que les émissions historiques et actuelles proviennent majoritairement des pays développés et affectent davantage les pays qui y ont le moins contribué (§ 5). La juge estime que « [c]limate justice requires, at the very least, a recognition that there is an imbalance between the major polluters (constituting a small number of developed or industrialized countries) and the majority of States (comprising least developed and small island States) whose GHG emissions are negligible » (§ 5).

Certes, la CIJ mentionne la responsabilité historique de certains États dans le contexte scientifique (§ 80) et dans l’explication relative au principe de responsabilités communes mais différenciées et capacités respectives (RCMD-CR, §§ 148-151). Cependant, elle ne le fait qu’au rang de constat, sans en tirer de réelle conséquence sur le plan juridique. La CIJ réduit en effet le principe de RCMD-CR à une déclinaison du principe d’équité qui guide l’interprétation des règles de droit international sans créer de nouvelles obligations (§ 151), ce que tant la juge Sebutinde (§§ 9-12) que la juge Xue (§ 3) déplorent. D’après elles, cette pierre angulaire du droit international dispose d’un contenu propre qui vise la distribution équitable des efforts en matière d’action climatique en fonction d’une part de la responsabilité historique des États dits développés et d’autre part de la capacité financière et technologique de chaque État. Or, dans son appréciation des éléments de la diligence requise pour respecter l’obligation coutumière de prévention des dommages transfrontaliers à l’environnement, la CIJ se limite aux « capacités respectives » sans prendre en considération le principe de RCMD-RC dans son ensemble, c’est-à-dire également la responsabilité historique.

Par ailleurs, la CIJ identifie, sans base juridique, une nouvelle catégorie d’États entre les États dits développés et les États dits en développement : ceux « ayant considérablement progressé dans leur développement depuis l’adoption de la CCNUCC en 1992 […], et dont certains contribuent à présent grandement aux émissions mondiales de GES et sont en mesure de fournir des efforts concrets en matière d’atténuation et d’adaptation » (§ 150). La juge Xue considère cependant que « individual changes of States in their social and economic development do not negate the distinction of developed and developing countries that underlies the legal structure of the climate change treaty régime » (§ 67). La distinction n’est pas le fruit d’une analyse juridique mais est établie sur base d’indicateurs de développement économiques, sociaux, humains et institutionnels par des institutions telles les Nations Unies, le Fonds monétaire international ou la Banque mondiale, et a des implications en termes notamment d’aide internationale.

De plus, si la part actuelle des émissions des États dits en développement placés dans cette catégorie intermédiaire augmente, leurs émissions per capita restent relativement basses (opinion séparée de la juge Xue, § 15) et leurs émissions passées minimes. Ce d’autant plus si les émissions faites par les États coloniaux à l’époque (comme le revendique notamment l’Organisation des États d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique) et par les États dits développés dont les entreprises ont délocalisé la production (opinion séparée de la juge Xue, § 74) sont attribuées à ceux-ci plutôt qu’aux États sur le territoire desquels se passaient les activités. La juge Xue insiste par ailleurs sur les dilemmes auxquels les États dits en développement doivent constamment faire face, entre leurs besoins en termes d’atténuation et d’adaptation aux changements climatiques et leurs besoins en termes d’éradication de la pauvreté et de développement (§§ 70-71).

Les contributions passées aux émissions de GES sont un enjeu crucial. Des auteurs comme Dehm (avec Riley Case puis Mason-Case) insistent sur la nécessité d’obtenir réparation pour les émissions passées. D’une part, les émissions passées sont directement pertinentes aujourd’hui puisque c’est leur accumulation dans l’atmosphère qui amène au dérèglement climatique (opinion séparée du juge Yusuf, § 13). Autant cela ne constituait pas un fait internationalement illicite susceptible d’engager la responsabilité des États jusqu’à présent puisque ces derniers n’avaient pas pris d’engagement de réduction de leurs émissions à l’époque, autant la reconnaissance par la CIJ d’une obligation coutumière de prévention des dommages significatifs au système climatique rend cet argument possible aujourd’hui (voy. en particulier § 427). D’autre part, il faut aussi reconnaitre que ce sont les émissions passées qui ont permis d’établir les conditions propices aux asymétries entre et au sein des États. Dehm regrette ainsi que la CIJ ne reconnaisse pas le rôle qu’ont joué et jouent encore le colonialisme et le capitalisme, bien que ce soit un constat suffisamment consensuel que pour figurer dans le dernier rapport du GIEC (AR6 WGII). Ce n’est pourtant pas faute pour les États d’avoir soulevé ces questions (Vanuatu, Saint-Vincent-et-les-Grenadines, Timor-Leste et Îles Cook cités par Dehm). 

Le Burkina Faso souligne « l’extrême injustice de la situation des peuples, comme celui burkinabè, dont le développement a été pris en otage à tour de rôle par l’esclavage, la colonisation, les injustices du système économique et financier mondial, le terrorisme, pour se trouver alourdi de graves charges, sinon compromis, par des émissions de gaz à effet de serre des mêmes Etats qui avaient commis ces crimes historiques ». Sainte-Lucie considère « qu’il ne peut exister de développement durable sans justice réparatrice et climatique, car le colonialisme est un facteur à la fois historique et actuel de la crise climatique. [L]a vulnérabilité des écosystèmes et des populations de ces pays aux changements climatiques trouve sa source dans l’esclavage, les schémas d’inégalité historiques et le colonialisme, dont procède l’utilisation non durable de l’océan et des terres. Sous les régimes coloniaux, les Caraïbes étaient clairement exclues du processus d’industrialisation de l’Europe, cantonnées qu’elles étaient au rôle de producteur et exportateur de matières premières ». Kiribati insiste sur la posture de ces « États qui ont apporté une contribution insignifiante au comportement mais qui doivent maintenant assumer la plus grande part des risques, notamment pour leur survie même et celle de leurs populations, alors qu’ils ont été spoliés d’une grande partie de leurs ressources naturelles par la colonisation et que leurs ressources actuelles sont insuffisantes pour faire face à ces risques ». La Bolivie signale quant à elle « que les causes structurelles des changements climatiques résident dans le modèle anthropocentrique actuel et, en particulier, dans le système-monde capitaliste de ces deux derniers siècles, qui a engendré la crise climatique que l’on connaît aujourd’hui et modifie les cycles biologiques de la Terre nourricière ».

Une telle reconnaissance n’est pas théorique en ce qu’elle peut permettre d’élargir les formes de coopération ou d’assistance, voire de réparation. Le (néo)colonialisme et le capitalisme constituent le cadre qui ont permis aux inégalités sociales profondes et aux relations de pouvoir de se créer, et lui permettent aujourd’hui de se reproduire ; ils empêchent les États qui en ont été et en sont les victimes de sortir d’une forme de dépendance vis-à-vis des États perpétrateurs. Les modalités de coopération, d’assistance ou de réparation pourraient ainsi s’inscrire dans ce cadre plus large et prendre la forme, par exemple, d’un allégement de la dette plébiscité par certains participants à la procédure (opinion séparée de la juge Sebutinde, § 12, voy. aussi Petel). Dans son dernier rapport, la Rapporteuse spéciale sur les formes contemporaines de racisme Achiume recommande d’« [a]ccorder la priorité aux réparations pour les dommages causés dans le passé à l’environnement et au climat et pour les dommages contemporains, ancrés dans une injustice séculaire » (§ 78). Ce refus d’engagement vis-à-vis de la responsabilité historique s’illustre aussi par l’absence du principe d’équité intragénérationnelle (reconnu par la juge Xue, § 28) qui va plus loin que le principe de RCMD-CR puisqu’il ne se cantonne pas à la répartition des efforts climatiques mais vise également à corriger les disparités entre États, notamment via le transfert de fonds ou de technologie (Redgwell). Pour le juge Yusuf toutefois, le principe de RCMD-CR est aussi pertinent pour interpréter le devoir de coopération : « solidarity must rest on a genuine appreciation of historical disparities, present and future inequality, and a serious regard for the differentiated responsibilities firmly embedded in the existing international legal framework » (§ 29).

Comme le soulignent Tigre, Bönnemann et De Spiegeleer, deux paradigmes juridiques s’affrontent dans l’avis consultatif : le droit comme instrument vivant pour la justice climatique d’un côté, et la prudence dans le respect des limites des traités et des sensibilités politiques de l’autre. Au regard de la justice climatique, la CIJ choisit l’approche diplomatique de la dépolitisation : les changements climatiques sont vus comme une menace extérieure de manière à occulter les questions de responsabilité de même que les relations de pouvoir et de dépendance (Ferguson et LohmannKlepp et Herbeck). Le voile de dépolitisation est aussi alimenté par un langage édulcoré : dans son interprétation des termes de la requête, la CIJ parle ainsi d’États qui « peuvent avoir nui » au lieu d’États qui « ont causé des dommages » comme l’indique la requête (§ 108). Plusieurs juges ont aussi critiqué le manque de spécificité et de tangibilité des réponses apportées par la CIJ, en particulier au regard des conséquences juridiques (opinions séparées du juge Bhandari, § 4, et du juge Yusuf, § 2).

2. (Im)mobilité dans un climat changeant : le strict minimum

Les questions posées à la Cour ne concernaient pas les mobilités humaines en tant que telles, même si une référence succincte y était faite dans le préambule de la requête au titre des conséquences déjà subies des changements climatiques. Pourtant, près de deux tiers des soumissions écrites des États – sans compter nombre de celles de la société civile – y renvoyaient (McAdam). La CIJ, dans son avis consultatif, n’ignore pas totalement la question. Elle indique les déplacements parmi les conséquences des changements climatiques au paragraphe 73 ainsi qu’au paragraphe 357 dans la situation particulière de l’élévation du niveau de la mer. Toutefois, du point de vue juridique, elle se borne à énoncer le principe de non-refoulement par un simple renvoi à la jurisprudence Teitiota du CDHNU (§ 378). Certes, il faut saluer la solidification des acquis minimaux en ce qui concerne la protection internationale dans le contexte des changements climatiques et il est légitime de se pencher de manière prioritaire sur la protection de l’environnement à travers ce que j’ai qualifié d’obligations écocentrées. Néanmoins, son appréhension des mobilités humaines – pourtant clarifiées ces dernières années, notamment au paragraphe 14f du Cadre de l’adaptation de Cancún – souffre de plusieurs lacunes, de manière générale mais aussi spécifique pour les États qui espéraient une meilleure consécration de la justice climatique.

- La consolidation des acquis minimaux en matière de protection internationale

La CIJ évoque la protection internationale en un paragraphe (au regret du juge Aurescu pour qui la question méritait davantage d’attention, § 25) :

« La Cour considère que les changements climatiques pourraient créer des conditions susceptibles de mettre en danger la vie d’individus qui pourraient devoir chercher refuge dans un autre pays ou se trouver empêchés de retourner dans le leur. Elle est d’avis que les États ont des obligations découlant du principe de non-refoulement s’il existe des motifs sérieux de croire que le renvoi d’individus dans leur pays d’origine comporte un risque réel de préjudice irréparable au droit à la vie, en violation de l’article 6 du PIDCP (voir Nations Unies, Comité des droits de l’homme, Teitiota c. Nouvelle-Zélande, 24 octobre 2019, doc. CCPR/C/127/D/2728/2016, par. 9.11). » (§ 378)

Quand on lit avec attention les mots choisis par la CIJ, on s’aperçoit que son langage est précautionneux et tourné vers le futur : elle parle d’individus « qui pourraient devoir chercher refuge », comme si tel n’était pas le cas aujourd’hui. Le GIEC, qu’elle cite abondamment par ailleurs, parle toutefois de déplacements provoqués par les phénomènes climatiques extrêmes comme d’un constat actuel dont le niveau de confiance est élevé (AR6 Synthesis Report, p. 51). La CIJ elle-même parait plus affirmative dans la définition du contexte scientifique pertinent lorsqu’elle souligne que « [l]es phénomènes météorologiques extrêmes […] deviennent plus fréquents et intenses, […] déplaçant des populations » (§ 73).

Le point positif, c’est la consécration de l’application du principe de non-refoulement, issu des droits humains, en matière de changements climatiques. En ne faisant qu’un renvoi à la communication Teitiota du CDHNU (pour un commentaire, Courtoy), la CIJ ne permet cependant pas de dépasser les écueils de cette décision, en particulier de savoir « where the tipping point lay » puisque l’auteur de la communication n’en a en l’occurrence pas bénéficié. La CIJ n’envisage de plus le principe de non-refoulement que sous l’angle du droit à la vie, alors qu’il peut normalement trouver à s’appliquer pour toute violation sérieuse des droits humains (HCR). Le CDHNU avait toutefois une approche large du droit à la vie par lequel il a également examiné des droits socioéconomiques (Courtoy).

La CIJ ne mentionne par ailleurs pas le droit des réfugiés, lequel doit trouver à s’appliquer avant la protection subsidiaire puisqu’il offre davantage de garanties aux individus. Certes, l’environnement per se n’est pas un motif de persécution au sens de la Convention de Genève, mais la doctrine (Kaldor CentreRefugee Law Initiative) et des organes tels que le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (20202023) ont dorénavant établi un cadre clair expliquant dans quelles circonstances des personnes menacées par les changements climatiques peuvent bénéficier du statut de réfugié.

En effet, les changements climatiques interagissent avec d’autres facteurs sociaux, économiques et politiques qui peuvent amener au déplacement. La CIJ elle-même reconnait, dans la section dédiée aux droits humains (en particulier §§ 382-384), que certains individus ont des vulnérabilités particulières qui font qu’ils peuvent être davantage affectés par les changements climatiques. Dans son opinion séparée, la juge Charlesworth parle des groupes vulnérables aux changements climatiques, y compris aux intersections potentielles entre différentes vulnérabilités, auxquels il doit être porté attention dans le respect des principes d’égalité et de non-discrimination (§§ 13-29).

McAdam perçoit aussi dans l’avis consultatif de la CIJ une possible nouvelle voie d’argumentation en la matière s’appuyant sur le droit à un environnement propre, sain et durable que la CIJ a reconnu comme une condition préalable indispensable à la jouissance de nombreux autres droits (§ 393). L’auteure considère que « [a] failure by authorities to guard against known future climate risks could support a claim to international protection, at least in situations where risk reduction actions would not pose “[a]n impossible or disproportionate burden’ on the government” (referring to Budayeva v Russia, para 135) » (Kaldor Centre).

- Un focus légitime sur la protection de l’environnement et l’adaptation in situ

La nécessité de protéger l’environnement pour protéger les droits humains permet de comprendre le focus de l’avis consultatif sur les obligations que j’ai appelées écocentrées, avec une appréhension très secondaire des obligations dites anthropocentrées. Cela semble faire écho au traitement de la question de l’adaptation aux changements climatiques lors des négociations internationales qui est longtemps restée un tabou par crainte qu’elle ne détourne de l’urgence de réduire les émissions et d’atténuer les changements climatiques (Gemenne). S’il est maintenant reconnu que l’adaptation est nécessaire, ne fut-ce que pour faire face aux conséquences des émissions déjà présentes dans l’atmosphère, cela ne remet certainement pas en question l’importance de réduire les émissions et ne doit pas amener à présupposer que le déplacement est inévitable (Boas et al.). Protéger en priorité l’environnement répond en effet aussi aux attentes des victimes, dont le premier souhait est le plus souvent de pouvoir rester sur place.

Cet enjeu est particulièrement important pour les petits États insulaires en développement pour qui les discours banalisant le fait de devoir quitter leurs îles sont intolérables. Comme l’ont affirmé les Maldives lors de la procédure orale : « The Maldives has a will to survive. It refuses to accept relocation of Maldivians as an inevitability » (§ 18). « We are a civilization that is thousands of years old, and we have no intention of abandoning our homeland. We have the right to live on the land to which we have unbreakable social, cultural and economic ties and where our families have lived for countless generations » (§ 5). Tuvalu, dans son exposé écrit, déclare ainsi : « Que ce soit clair : pour les Tuvalu et leur peuple, le déplacement n’est pas une réponse acceptable à la crise climatique […]. La prérogative et la “priorité du peuple tuvaluan est de rester et de continuer à vivre sur la terre qui lui a été donnée par Dieu” » (§59).

Dans leur exposé écrit, les Îles Cook expliquent aussi : « Dans les Îles Cook, chacun attache une importance profonde à ses liens avec la terre héritée, la patrie, le foyer ancestral (ipukarea). L’idée de perdre l’appartenance à son foyer, à celui de ses ancêtres, est plus que la perte des liens autochtones avec la terre, la mer et le ciel, cela revient à perdre l’appartenance profonde aux générations passées, présentes et futures. Après la naissance d’un enfant, la coutume veut que l’on enterre le placenta sur la terre dont on a hérité, afin de maintenir les liens spirituels ancestraux entre les générations passées et futures sur leurs terres. Ne pas avoir de lien avec sa terre entame une dimension fondamentale et interconnectée du bien-être holistique » (§ 109, citant un rapport d’experts).

Forts de ce constat, les chercheurs qui travaillent sur le nexus mobilités humaines et climat se sont intéressés aux immobilités volontaires (Farbotko ici et ici). Dans ce champ d’étude, il est aujourd’hui communément admis que la question des mobilités humaines est intrinsèquement liée aux questions d’immobilités et d’adaptations in situ (ZickgrafThomas et al.). J’ajouterais également que toutes ne peuvent s’étudier sans envisager leur impact sur l’environnement et l’atténuation des changements climatiques, dans le cadre d’une planification holistique de la réponse à apporter à un environnement changeant. La juge Xue semble inviter à aller dans ce sens lorsqu’elle souligne – tout en déplorant que la Cour ne l’ait pas fait – la nécessité d’une approche intégrée dans la mise en œuvre des mesures climatiques, qui tienne compte des enjeux économiques, sociaux, environnementaux et de droits humains, dans une logique de développement durable et d’éradication de la pauvreté (§ 2, aussi § 50).

Le focus sur les mobilités plutôt que sur l’absence de mobilité est le fruit d’un biais sédentaire, dont découle l’idée occidentale que tout individu, s’il avait le choix, préférerait ne pas se déplacer et donc que la migration est un problème à résoudre (Fröhlich et KleppCastles). Les mobilités, à l’intérieur ou à l’extérieur des frontières, peuvent pourtant traduire une forme d’adaptation des individus, pour eux-mêmes ou leurs proches, leur permettant parfois même de rester sur place (voy. la littérature sur les envois de fonds ou remittances, notamment Brüning). Si cela peut sembler en contradiction avec le constat précité d’après lequel les individus souhaitent souvent rester chez eux, il est important de noter qu’une forme de mobilité n’est pas l’autre. Comme le soulignaient les Îles Cook : 

« Les habitants des Îles Cook ne veulent pas de la mobilité climatique. […] Le seul fait que les habitants des Îles Cook aient fait preuve d’une innovation considérable en tant que population mobile ne signifie pas qu’ils soient prédisposés à se déplacer. Être mobile n’est pas la même chose qu’être un migrant climatique contraint de se déplacer en raison des effets des changements climatiques. » (§ 110, citant un rapport d’experts)

L’important est de laisser les États et leurs citoyens décider du moment et de la manière de réagir face à un environnement qui se modifie, conformément au principe d’autodétermination (voy. les interventions de plusieurs États à cet égard, notamment Tuvalu, Vanuatu, Kiribati, les Îles Cook, Saint-Vincent-et-les-Grenadines, Madagascar, le Sierra Leone, Maurice, les Îles Salomon, le Liechtenstein, Nauru, la République Dominicaine, le Timor-Leste, le Kenya, le Bangladesh, le Burkina Faso, le Costa Rica, la Micronésie, et les Comores).

- Une appréhension très partielle des enjeux de (im)mobilité humaine et un silence quant aux mécanismes de solidarité

Ainsi, la conception des (im)mobilités humaines et le rôle du droit à cet égard a bien évolué (Courtoy). De nombreux travaux (Kaldor Centre Principles on Climate MobilityAgenda Nansen) ont été réalisés pour synthétiser la diversité des mesures à prendre afin de répondre aux enjeux des (im)mobilités humaines dans un contexte où l’environnement se dégrade, et ces mesures dépassent de loin la protection internationale. Dans un autre écrit (Courtoy), j’exposais en quoi la Convention de Genève, même révisée, même en tenant compte du principe de non-refoulement dont l’application n’est pas conditionnée par des motifs spécifiques, ne suffirait pas à embrasser de manière satisfaisante les besoins en la matière, tout simplement parce qu’il s’agit d’un outil palliatif, limité aux mouvements transfrontières, vis-à-vis d’États qui ne veulent ou ne peuvent agir pour protéger leurs citoyens, là où une planification qui mettent au centre de la réponse les États et leurs citoyens est nécessaire.

Les Pays-Bas, dans leur exposé oral, évoquent ainsi ce souci de planifier dont ils ont bien conscience de par leur situation. En effet, « the Netherlands has, historically, always faced the necessity to adapt to nature. Luctor et emergo, struggle and emerge, is the motto of the province of Zeeland (“Sealand”) which has been particularly vulnerable to high tides. Land and water have been and continue to be shaped by the forces of nature and humans » (§ 3). Au titre des stratégies étudiées par l’État pour répondre sur le long terme au risque dans le delta néerlandais, les Pays-Bas identifient notamment la stratégie de la flexibilité qui implique « the reduction of vulnerability to the effects of higher sea-level rise by means of water- or salt-tolerant land use, such as floating buildings and infrastructure on piles […] spatial planning and/or relocation » (rapport de Deltares).

Au titre de cette planification se retrouvent donc également les relocalisations, notamment dans les zones côtières où il peut être nécessaire de repenser l’aménagement pour laisser de l’espace à la mer (voy. la popularité du terme « gestion intégrée des zones côtières » dans Courtoy), ou encore vis-à-vis des personnes les plus vulnérables qui ne seront pas à même de se déplacer par elles-mêmes (exposé oral de Kiribati au § 10, voy. la notion de « personne piégée » dans la littérature, notamment van der Geest et al.). Cette option n’est toutefois pas sans risque d’instrumentalisation, comme ce fut le cas lors de projets de développement (Cernea et Maldonado). Des lignes directrices (Guidance et Toolbox) ont été identifiées pour éviter ces dérives. Néanmoins, il reste des tensions entre le potentiel que représentent les relocalisations pour la protection du droit à la vie et la menace qu’elles constituent pour les droits culturels notamment, comme cela s’illustre dans la communication Daniel Billy du CDHNU (pour un commentaire, Courtoy). 

Par ailleurs, il est depuis longtemps connu que les mobilités induites par les changements climatiques se passeront majoritairement à l’intérieur des pays (Groundswell). La CIJ mentionne les déplacements internes en tant que fait (§ 357) mais ne renvoie pas au cadre légal pertinent en la matière, alors même qu’il s’est développé ces dernières décennies (KälinCantor). Les États doivent donc se doter d’un cadre juridique et de mécanismes capables d’organiser des évacuations si nécessaires et de respecter les droits des individus tels qu’identifiés dans les Principes directeurs.

En ce sens, le rôle de la communauté internationale est surtout de fournir un soutien financier et technique pour permettre aux États affectés de prendre leurs propres décisions en matière de planification de l’adaptation et de gestion des mobilités, et surtout d’être capables de les mettre en place. Comme l’indiquent les Maldives dans leur exposé oral : « Small island developing States have no desire to be passive victims of climate change. The duty to co-operate, in its many aspects, is a vehicle for granting them agency » (§ 19). Le principe d’autodétermination est central, et nécessite une obligation de coopération alignée sur le principe de responsabilités communes mais différenciées et capacités respectives. Même si la CIJ affirme que le devoir de coopération est une obligation en droit international coutumier (§ 308 susmentionné) et conventionnel (§ 140), elle traite cette obligation de manière uniforme, sans considérer les disparités entre groupes d’États, au détriment d’une justice climatique. Peut-être le nouveau Fonds dédié aux pertes et préjudices, dont l’un des objectifs est de « promouvoir des formes de mobilité humaine − déplacement, réinstallation et migration − équitables, sûres et dignes en cas de pertes et préjudices temporaires ou permanents » (§ 9), pourra-t-il constituer un premier pas dans cette direction.

Une autre forme de coopération, dont le Portugal et les Pays-Bas ont notamment fait mention dans leurs interventions, est l’accès à des voies légales de migration digne pour ceux qui recourraient au déplacement hors de leurs frontières (dans la lignée de la politique de « migration dans la dignité » des Kiribati). La mention succincte de la CIJ au principe de non-refoulement ne permet pas d’y répondre puisque, à supposer même qu’il soit appliqué à des cas concrets pour en comprendre la portée exacte, il ne concernerait en tout état de cause que les individus dans des situations tellement extrêmes qu’elles menacent leur vie et ne pourraient offrir des moyens d’adaptation valables à ceux qui partent avant que la situation n’atteigne un stade critique. Certains États avaient ainsi mentionné des cadres innovants, notamment le traité d’Union Falepili entre l’Australie et Tuvalu (pour un commentaire, Briard).

3. Conclusion

Certains commentaires reprochent à la Cour internationale de justice d’avoir été prudente, d’autres la jugent trop activiste. Ce qu’on peut noter, c’est une convergence des organes judiciaires vers une limitation de la marge discrétionnaire des États là où l’argument de la séparation des pouvoirs faisait davantage frissonner il y a quelques années encore. La CIJ reconnait ici que la menace climatique est suffisamment importante que pour causer des dommages significatifs à l’environnement et donner lieu à l’obligation coutumière de prévention. Peu importe dès lors que les États aient ou non pris des engagements en matière climatique, ils se doivent d’agir pour ne pas porter atteinte aux droits des autres États. L’avancée est majeure, et l’avis consultatif – qui dispose d’une grande autorité malgré sa nature non contraignante (Jean) – a déjà eu plusieurs répercussions sur les États (notamment au Canada, en Corée du Sud et au Conseil de l’Europe).

La CIJ n’était pas réellement interrogée sur les mobilités humaines, certes, mais mention y était faite par la grande majorité des États. Si elle affirme la pertinence du principe de non-refoulement en matière climatique, son langage conditionnel semble en décalage avec les constats scientifiques sur lesquels elle se base par ailleurs. Quant à la justice climatique, la CIJ semble ménager les susceptibilités en l’entourant d’un voile de formalisme. Elle perd ainsi la force de l’argument historique qu’elle ne développe qu’en tant que fait sans en tirer de véritables conséquences en droit. Le juge Tladi, dans sa déclaration, semble s’en remettre aux puissants de ce monde :

« [A] complete solution to the climate change problem requires […] those in decision-making positions to make the right choices for the sake of the future of our planet. […] I still maintain modest hope. Modest hope that those in positions of power will realize, before it is too late, that money cannot be eaten[6]Hope, that future generations will make better choices. » (§§ 38-39)

Ce qui se lit en creux, toutefois, c’est la dissonance entre ceux qui prennent les décisions et ceux qui en subissent les conséquences. Le principe de responsabilités communes mais différenciées et capacités respectives est une consécration dans le droit de cet état de fait : le rôle du droit est justement de le corriger. À condition de s’en saisir.

C. Pour aller plus loin

Lire l’avis consultatif : CIJ, avis consultatif du 23 juillet 2025, Obligations des États en matière de changement climatique.

Jurisprudence : 

Doctrine :  

 

Pour citer cette note : M. Courtoy, « Justice climatique en demi-teinte à La Haye : le choix d’une lecture ambitieuse mais formaliste du droit international », Cahiers de l’EDEM, octobre 2025.
 


[1] L’avis consultatif a été rédigé en français et en anglais, le texte français faisant foi.

[2] La CIJ emploie le terme au singulier, que je maintiens quand je me réfère à ses propos, mais j’userai à titre personnel du terme au pluriel pour mieux refléter la diversité des modifications observées dans le climat mondial.

[3] La terminologie est celle employée par le droit international climatique.

[4] Sur le choix de ce terme, voy. Boas et al. et Zickgraf.

[5] Les opinions séparées ne sont disponibles que dans la langue choisie par leur auteur parmi les deux langues officielles de la CIJ (français et anglais) ; je les ai donc citées dans leur langue originale (sauf pour la citation attachée à la présente note de bas de page qui est à l’origine en français). Les tierces interventions écrites ont été rédigées par leur auteur dans une des deux langues officielles de la CIJ mais officieusement traduites dans l’autre par le greffe de la CIJ ; j’ai dès lors toujours cité la version française. Les tierces interventions orales ne sont disponibles que dans la langue choisie par leur auteur parmi les deux langues officielles de la CIJ ; je les ai donc citées dans leur langue originale.

[6] Le juge Tladi précise qu’il s’est inspiré d’un vieux proverbe attribué au peuple cri : « Only when the last tree has been cut, only when the last river has been poisoned, only when the last fish has been caught, only then we will realize, that money cannot be eaten. »