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C.C.E., 11 avril 2024, n° 304 677

cedie | Louvain-la-Neuve

cedie
10 September 2025

Violences intrafamiliales et droit de séjour : dépasser les limites d’une interprétation restrictive de la clause de protection

Violences intrafamiliales – Regroupement familial – Art. 11, § 2, al. 4, de la loi du 15 décembre 1980 – Exception au retrait du séjour – Convention d’Istanbul – Directive (UE) 2024/1385 – Violence post-séparation – Clause de protection – Éclairage social – Accompagnement spécialisé.

Le Conseil du contentieux des étrangers se prononce sur la possibilité, pour une victime de violences intrafamiliales survenues dans le cadre d’un regroupement familial, de bénéficier du maintien de son droit de séjour, en vertu de l’exception au retrait prévue à l’article 11, § 2, alinéa 4, de la loi du 15 décembre 1980. Il précise que la commission de violences après le départ du domicile conjugal ne constitue pas un critère permettant à l’administration de refuser l’application de la clause de protection. Le Conseil rappelle en outre l’obligation de motivation incombant à l’administration, qu’il estime en l’espèce insuffisante. Il annule, dès lors, la décision de retrait du droit de séjour prise à l’encontre de la requérante.

Eleonora Mocellin, Sarah Veys, Christian Kabeya Kalubi

A. Arrêt 

1. Les faits 

La requérante, Madame X., est de nationalité ivoirienne. En août 2020, elle entre légalement sur le territoire belge munie d’un visa de regroupement familial, obtenu sur la base de l’article 10 de la loi du 15 décembre 1980, afin de rejoindre son époux. En mars 2021, elle obtient une autorisation de séjour limité en Belgique, accompagnée de la délivrance d’une carte A.

En juin 2021, en raison de tensions conjugales, la requérante quitte le domicile familial pour se réfugier chez son oncle, en France. Elle revient en Belgique en juillet 2021, mais subit alors des violences physiques de la part de son conjoint, notamment des coups et blessures. Elle décide de retourner chez son oncle pour se mettre en sécurité. À la suite de cet épisode, elle reçoit plusieurs menaces de son conjoint entre juillet 2021 et mars 2022.

En août 2021, la requérante apprend qu’elle est enceinte. Cette nouvelle la pousse à revenir en Belgique, où elle est hébergée au Samu Social à partir de ce moment.

Le 13 décembre 2021, son conseil informe l’Office des étrangers qu’elle a fui le domicile conjugal en raison de violences familiales. La requérante sollicite alors le maintien de son droit de séjour, en invoquant l’exception au retrait prévue en cas de violences familiales par l’article 11, §2, alinéa 4, de la loi du 15 décembre 1980. Plusieurs pièces sont communiquées à l’appui de cette demande. L’Office invite ensuite la requérante à compléter son dossier, ce qu’elle fait en transmettant des documents supplémentaires.

Après analyse de sa situation, l’Office adopte en mai 2022 une décision de retrait de son droit de séjour.

Cette décision s’appuie sur l’article 11, § 2, alinéa 1er, 2°, l’Office estimant que la requérante n’entretient pas ou plus de vie conjugale ou familiale avec son conjoint qu’elle avait rejoint. Selon lui, les coups et blessures allégués n’ont pas été constatés, et il s’interroge sur le fait que la requérante n’ait pas porté plainte en Belgique, préférant se réfugier immédiatement chez son oncle. Il ajoute que les menaces évoquées sont postérieures au départ de la requérante du domicile conjugal. L’Office en conclut que la requérante ne remplit pas les conditions pour bénéficier de l’exception prévue pour les victimes de violences intrafamiliales. Il précise que cette décision ne porte pas atteinte à sa vie familiale, protégée par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (ci-après, CEDH), dans la mesure où elle n’empêche pas la poursuite de la relation avec son enfant et n’est pas accompagnée d’un ordre de quitter le territoire.

La requérante introduit un recours contre cette décision devant le Conseil du contentieux des étrangers (ci-après, C.C.E.) le 1er juillet 2022. Elle conteste l’interprétation que l’Office fait de l’article 11 précité, et en particulier l’exigence selon laquelle les violences devraient avoir eu lieu au sein du domicile conjugal. Elle soutient également que la motivation de la décision attaquée ne lui permet pas de comprendre les raisons pour lesquelles elle ne pourrait bénéficier de la clause de protection.

2. La décision 

Le C.C.E. rappelle que l’Office est tenu de motiver formellement ses décisions, de manière à permettre au destinataire d’en comprendre les raisons. Il rappelle également les deux hypothèses dans lesquelles l’Office ne peut mettre fin au séjour d’un étranger en application de l’article 11, § 2, alinéa 4. Il souligne en outre que l’Office doit accorder une attention particulière à la situation des personnes victimes de violences intrafamiliales, qui ne forment plus une cellule familiale avec la personne qu’elles ont rejointe et qui nécessitent une protection.

Or, selon le C.C.E., la motivation fournie par l’Office laisse entendre que la requérante aurait dû rester au domicile conjugal pour pouvoir être protégée, ce qui constitue un raisonnement inadmissible. Il estime que l’Office n’a ni correctement pris en compte la situation personnelle de la requérante, ni correctement justifié le refus de lui accorder le bénéfice de la clause de protection. En conséquence, le C.C.E. considère que la décision est insuffisamment motivée. Le 11 avril 2024, le C.C.E. annule donc la décision de retrait du droit de séjour prise le 4 mai 2022 par l’Office des étrangers.

B. Éclairage 

1. Éclairage juridique 

L’arrêt commenté porte sur la clause de protection prévue à l’article 11, § 2, alinéa 4, de la loi du 15 décembre 1980, selon laquelle l’Office des étrangers ne peut retirer le droit de séjour à une personne susceptible d’avoir subi des violences au sein de sa famille. Cette disposition vise en particulier la protection des femmes migrantes dans le cadre du regroupement familial. L’arrêt soulève deux enjeux liés à cette clause : d’une part, la question du lieu où les violences ont été commises (I) ; d’autre part, celle des preuves à fournir pour établir leur existence (II).

I. La localisation des violences à l’épreuve du droit international 

L’Office des étrangers considère que les violences verbales et les menaces subies par la requérante après avoir quitté le domicile conjugal ne sont pas suffisantes pour maintenir son titre de séjour, « dès lors qu’elles interviennent en dehors de la sphère familiale » (pt 2). Il interprète ainsi l’article 11, § 2, alinéa 4, de la loi du 15 décembre 1980 comme exigeant que les violences aient lieu au sein du domicile conjugal pour ouvrir droit à la protection.

Or, cette exigence liée au lieu des violences n’apparaît nulle part dans la loi. L’article 11, § 2, alinéa 4, prévoit simplement que l’Office doit prendre « particulièrement en considération la situation des personnes victimes de violences dans leur famille, qui ne forment plus une cellule familiale avec la personne qu’elles ont rejointe et nécessitent une protection », sans préciser le cadre spatial de ces violences.

La notion de « violences dans leur famille » mérite donc d’être éclairée à la lumière du droit international. Deux textes sont ici essentiels : la Convention d’Istanbul et la directive (UE) 2024/1385. 

La Convention d’Istanbul, ratifiée par la Belgique en 2016, constitue un texte fondamental pour la protection des femmes. Elle est le premier instrument européen contraignant établissant un cadre juridique complet pour prévenir les violences à l’encontre des femmes et assurer leur protection, en intégrant – pour la première fois – la situation spécifique des femmes migrantes. Son article 3, point b), définit les violences domestiques comme incluant les actes de violence entre anciens ou actuels conjoints, indépendamment du fait qu’ils partagent ou aient partagé un domicile. 

La directive 2024/1385, devant être transposée en droit national pour le 14 juin 2027, est un texte innovant sur la violence à l’égard des femmes et la violence domestique. Bien qu’elle mentionne peu les femmes migrantes, son article 2 adopte une définition similaire, précisant que la violence domestique peut avoir lieu entre anciens ou actuels partenaires, « que l’auteur partage ou ait partagé ou non le même domicile que la victime ». 

Ces deux textes démontrent que des violences peuvent relever de la sphère familiale même après une séparation ou hors du foyer conjugal. En niant cela, l’Office adopte une lecture restrictive, contraire au droit international. 

Cette position soulève également deux autres questions : l’une relative à la protection du droit à la vie et à l’intégrité des femmes dans la sphère privée, garanties notamment par l’article 2 de la CEDH et l’article 6 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et l’autre sur la protection de la requérante au regard de l’article 3 de la CEDH et de l’article 7 du Pacte, qui garantissent l’interdiction de la torture ainsi que des peines ou traitements inhumains ou dégradants. Or, comme le relève le C.C.E., le raisonnement de l’Office revient à considérer que la requérante doit rester dans le domicile conjugal pour bénéficier d’une protection, ce qui l’expose à un danger (pt 3.3.d)). En ne tenant pas compte de cette définition spécifique et en jugeant les faits vécus par la requérante hors du domicile conjugal comme « non suffisants », l’administration méconnaît ses obligations internationales en matière de droits fondamentaux. 

Dès lors, son refus d’octroyer un séjour autonome à la requérante sur la base de l’article 11, § 2, alinéa 4, de la loi du 15 décembre 1980 est incompatible avec l’article 59 de la Convention d’Istanbul. Celui-ci requiert des États parties à délivrer un permis de séjour autonome aux femmes migrantes dépendantes de leur conjoint, en cas de séparation dans des « situations particulièrement difficiles […] indépendamment de la durée du mariage ou de la relation ».

En annulant la décision rendue par l’Office des étrangers dans le cas d’espèce, le C.C.E. se conforme aux engagements internationaux de la Belgique au titre de la Convention d’Istanbul et propose une analyse rigoureuse et convaincante de la loi du 15 décembre 1980, à rebours de l’interprétation restrictive de l’administration.

II. La preuve des violences familiales dans la pratique de l’Office des étrangers  

La clause de protection prévue à l’article 11, § 2, alinéa 4, de la loi du 15 décembre 1980 soulève d’importantes difficultés pratiques, notamment en raison de l’absence de critères clairs quant à la preuve des violences exigée des victimes. Ni la loi ni l’Office des étrangers ne précisent la nature ou la forme des éléments à fournir, laissant une large marge d’appréciation à l’administration.

Dans son rapport de 2020, le Groupe d’experts sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (GREVIO) a relevé cette lacune tenant à l'absence de directives claires à destination de l’Office, source d’incertitudes et d’incohérences dans les décisions. En pratique, les dossiers sont traités au cas par cas, sans indication précise sur les éléments recevables, ce qui entraîne des différences de traitement et une insécurité juridique.

Pourtant, le rapport explicatif de la Convention d’Istanbul concernant l’article 59 précise que chaque État doit, selon son droit interne, déterminer les conditions d’octroi d’un permis de séjour autonome et les preuves à fournir — telles que procès-verbaux, jugements, certificats médicaux ou rapports d’ONG. La loi belge semble ainsi être en porte-à-faux avec les exigences de l’article 59 de la Convention.

La circulaire du 15 juin 2023 a cherché à améliorer l’information des victimes et à clarifier les procédures, mais elle n’a pas fixé de liste exhaustive de preuves à fournir. Elle mentionne, à titre d’exemples, les éléments suivants comme pièces justificatives probantes susceptibles d’étayer les faits allégués par les victimes : une copie du procès-verbal de police relatif à la plainte déposée ou aux faits de violences intrafamiliales, une attestation d’hébergement, ainsi que des témoignages ou certificats médicaux attestant des actes de violence. La circulaire précise que la combinaison de ces documents permet une évaluation globale de la situation de violence intrafamiliale, et qu’un document isolé ne saurait suffire à lui seul. Il appartient dès lors à la victime de produire le plus grand nombre de preuves possibles. 

La pratique administrative demeure néanmoins marquée par l’absence de précisions légales sur les preuves de violences[1]. Cela a pour conséquence que certaines victimes reçoivent malgré tout une réponse négative, faute de pouvoir « prouver » suffisamment les violences subies, ce qui renforce leur vulnérabilité juridique.

L’Office est cependant tenu de prendre en compte de manière adéquate et approfondie tout type de preuve et de faits de violences, « étant donné les effets qui résultent d’une décision de retrait de séjour » pour la requérante (pt 2).

Dans l’arrêt commenté, l’Office des étrangers a invité la requérante à produire des documents étayant les violences dénoncées. Celle-ci a transmis : un procès-verbal de police français, un rapport d’audition en Belgique, une main-courante, une attestation de plainte, des captures d’écran de conversations avec son époux et trois attestations d’hébergement du Samu social. Ces éléments, dont certains sont pourtant énumérés dans la circulaire du 15 juin 2023 précitée, ont été écartés au motif que les menaces avaient eu lieu après son départ du domicile conjugal (pt 3.3). Ce critère, pourtant non prévu par la loi, ne dispense pas l’Office d’examiner si les faits relèvent des violences visées à l’article 11. 

Pour appuyer sa demande, la requérante aurait également pu joindre un certificat médical ou une attestation d’un psychologue attestant des violences verbales et/ou physiques subies — une absence relevée par l’Office des étrangers (pt 1.4). Toutefois, au regard des pièces déjà versées et de la gravité des menaces, de tels éléments n’étaient, selon nous, pas indispensables : ils n’auraient fait que corroborer une situation de danger déjà suffisamment établie. 

Deux arrêts du C.C.E. viennent utilement éclairer la décision commentée. Dans un arrêt du 28 décembre 2009, n° 36 610, le C.C.E. considère que l’article 11, § 2, 4°, n’exige pas la production d’un certificat médical attestant de violences physiques. Plus récemment, dans son arrêt du 29 juillet 2020, n°239.202, le C.C.E. approfondit cette approche en affirmant que des documents divers et concordants – tels qu’un rapport d’audition de police, un constat de lésions, une attestation d’un centre d’hébergement d’urgence, un courrier du CIRE et une attestation psychothérapeutique, constituent plus que de simples indices et peuvent constituer un « commencement de preuve » suffisant des violences alléguées, même en l’absence de condamnation judiciaire ou de preuve médicale(pt 3.3.2). 

Ces deux décisions viennent contredire l’approche retenue par l’Office des étrangers dans l’arrêt commenté. Selon nous, les éléments apportés par la requérante auraient dû être considérés comme un faisceau d’indices suffisamment sérieux démontrant les violences intrafamiliales subies. 

Le C.C.E. considère in fine que l’Office n’a pas correctement tenu compte de la situation de la requérante. Il reconnaît l’existence de menaces graves de la part de son époux, justifiant un besoin de protection, comme en attestent les documents transmis. En conclusion, la position du C.C.E. apparaît convaincante et conforme aux engagements internationaux de la Belgique.

2. Éclairage social

L’analyse sociale de la situation de Madame X., femme migrante victime de violences dont le droit de séjour dépend de l’auteur, porte notamment sur l’impact des délais procéduraux prolongés pour obtenir un séjour autonome (I), et sur la nécessité d’un accompagnement global et spécialisé (II).

I. L´impact d’une incertitude administrative et juridique prolongée

À la suite du signalement des violences et de la demande de séjour autonome, l’instruction du dossier par l’Office des étrangers et le recours devant le C.C.E. ont entraîné une période d’attente prolongée (de décembre 2021 jusqu’à l’annulation du refus en avril 2024). Cette dimension temporelle, provoquée par les institutions administratives et judiciaires, et caractérisée par une incertitude administrative et juridique, a probablement accru la vulnérabilité de Madame X., en affectant sa capacité à se projeter dans l’avenir et dans ses possibilités d’insertion dans la société belge. 

Les répercussions de cette attente prolongée peuvent être multiples. L’incertitude administrative peut freiner l’insertion professionnelle, l'accès aux soins de santé spécialisés, ainsi que l’accès à un logement sûr et adapté. Comme mis en évidence dans le rapport du GREVIO, l’hébergement des femmes migrantes victimes de violences reste problématique, car l´accès aux structures spécialisées dépend souvent du statut de séjour, tandis que les places et les financements restent limités.

En outre, la peur de perdre son titre de séjour ou de ne pas pouvoir subvenir à ses besoins essentiels peut accentuer cette vulnérabilité, l'exposant à des risques accrus d'exploitation. 

À l’époque des faits, Madame X. était enceinte : on peut présumer que la précarité liée à sa situation administrative a aussi eu des effets indirects sur son enfant, notamment en termes de stabilité de vie et de développement dans un environnement sécurisé. Son état psychologique a sans doute été marqué par de l’anxiété, de l’épuisement moral et une perte de repères. Le stress lié au rejet de la demande — motivé par l’Office des étrangers en raison de l’insuffisance des éléments présentés pour accéder à la clause de protection (voir éclairage juridique) — a pu entamer sa confiance dans les institutions et provoquer une re-victimisation. Enfin, l’attente prolongée peut aggraver sa situation de vulnérabilité, au point de compromettre la constitution de son dossier et la collecte des preuves nécessaires à l’appui de sa demande de maintien de séjour.

II. Protection et accompagnement des femmes migrantes victimes de violences intrafamiliales

La situation de Madame X. montre la nécessité d’un accompagnement adapté et spécialisé, prenant en considération les dimensions sociales, sanitaires, économiques, ainsi que le genre. Comme le prévoit l’article 33 de la directive 2024/1385, une telle approche repose sur une analyse intersectionnelle, prenant en compte les spécificités du profil de la personne concernée : en l’occurrence, son statut de femme migrante, son rôle de mère isolée avec enfant en bas âge, sa situation de victime de violences intrafamiliales, ainsi que la précarité liée à l’incertitude de son statut administratif.

Dans ce cadre, un parcours d’accompagnement co-construit avec la bénéficiaire est essentiel. Celui-ci doit s’appuyer sur une approche pluridisciplinaire centrée sur ses besoins spécifiques, mais aussi sur les objectifs qu’elle exprime. L’enjeu est d’identifier et de mobiliser ses ressources personnelles — compétences linguistiques, niveau de formation, expériences professionnelles, contacts personnels. Cette approche nécessite la coordination entre plusieurs acteurs, notamment les services spécialisés dans l’accompagnement des femmes migrantes victimes de violences, son avocat(e), les professionnels de santé (médecin, psychologue), les services d’insertion socio-professionnelle. L’objectif est de soutenir son autonomie et son intégration, dans le respect de son rythme et de ses capacités, pour lui permettre de faire valoir ses droits, qu’il s’agisse du séjour, du divorce ou de la garde de son enfant. 

Cette approche sous-entend une réflexion sur sa propre posture d’intervenant social vis-à-vis de la bénéficiaire, en dépassant une lecture centrée exclusivement sur ses expériences traumatiques. Il s’agit de la reconnaître dans son agentivité, capable de faire des choix et de développer des stratégies pour faire face à sa situation.

Dans le cadre de la procédure de maintien du séjour (voir éclairage juridique), l’accompagnement de Madame X. doit également viser à étayer au maximum et à actualiser son dossier, en reflétant l’évolution de sa situation pendant cette longue période d’attente.

Conclusion 

Le dispositif du regroupement familial en Belgique instaure une dépendance administrative — souvent des femmes vis-à-vis de leur conjoint — pendant les cinq premières années de séjour en Belgique, période durant laquelle le droit de séjour reste fragile et révocable. Cette dépendance est renforcée par des procédures longues, complexes pour obtenir un droit de séjour autonome. Elle expose les femmes concernées à une insécurité juridique et administrative persistante, les obligeant parfois à demeurer dans des situations de violence. 

L'arrêt rendu par le C.C.E. souligne les limites préoccupantes de la pratique administrative actuelle en matière de protection des femmes migrantes victimes de violences intrafamiliales. Il rappelle que l’application de l’article 11, § 2, alinéa 4, de la loi du 15 décembre 1980 ne peut être guidée par des critères non prévus par la loi, comme l’exigence que les violences se soient produites au domicile conjugal, ni ignorer les engagements internationaux de la Belgique, notamment au titre de la convention d’Istanbul.

Plus largement, cette décision illustre la tension persistante entre, d’une part, la souveraineté des États en matière migratoire et délivrance du droit de séjour, et d’autre part, l’obligation de respecter les droits fondamentaux des personnes étrangères. En limitant l’arbitraire administratif et en exigeant le respect des engagements internationaux de la Belgique, cette décision rappelle que la souveraineté étatique ne peut s’exercer au détriment des droits humains. 

Au-delà de la question juridique, cette affaire met en lumière les conséquences humaines de l’incertitude administrative prolongée : instabilité résidentielle, isolement social, risques accrus d’exploitation, et effets délétères sur la santé mentale et l’intégration socio-économique des personnes concernées. Elle souligne ainsi l’impératif d’un accompagnement global, accessible et spécialisé, ainsi qu’un examen rigoureux, individualisé et bienveillant des situations.

Il devient dès lors urgent de repenser les conditions d’octroi du séjour autonome, mais aussi les pratiques administratives, pour garantir un véritable accès aux droits — et à la sécurité — pour toutes les femmes migrantes confrontées à des violences.

C. Pour aller plus loin

Lire l’arrêt : C.C.E., 11 avril 2024, n° 304 677.

Jurisprudence : 

Doctrine :  

Rapports :  

 

Pour citer cette note : E. Mocellin, S. Veys et Ch. Kabeya Kalubi, « Violences intrafamiliales et droit de séjour : dépasser les limites d’une interprétation restrictive de la clause de protection », Cahiers de l’EDEM, août 2025.