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Cour constitutionnelle d’Afrique du Sud, 24 août 2023, Scalabrini Centre of Cape Town and Another c. The Minister of Home Affairs and Others, Case CCT 51/23

cedie | Louvain-la-Neuve

cedie
4 June 2025, modifié le 5 June 2025

Vers l’émergence d’une approche centrée sur la dignité dans le contentieux migratoire

Refugees Act, paragraphes 22 (12) et (13) — Principe de non-refoulement – Dignité humaine.

La Cour constitutionnelle d’Afrique du Sud examine la conformité à la constitution de deux dispositions de la loi sud-africaine de 1998 (ci-après Refugees Act). Elle conclut que les paragraphes 22 (12) et 22 (13) de la Refugees Act violent le principe de non-refoulement et portent atteinte à la dignité de la personne humaine. Elle applique sa décision de manière rétroactive au 1er janvier 2020, date d’entrée en vigueur de deux dispositions de la Refugees Act. Sa motivation contribue à la protection des droits des migrants selon une approche centrée sur la dignité qui contraste avec les paradigmes du droit des migrations et de la jurisprudence occidentale fondée sur la recherche de l’équilibre entre souveraineté et droits de l’homme quoique la tendance bascule souvent vers la première. 

Trésor Maheshe Musole

La Cour constitutionnelle d’Afrique du Sud examine la conformité à la constitution de deux dispositions de la loi sud-africaine de 1998 (ci-après Refugees Act). Elle conclut que les paragraphes 22 (12) et 22 (13) de la Refugees Act violent le principe de non-refoulement et portent atteinte à la dignité de la personne humaine. Elle applique sa décision de manière rétroactive au 1er janvier 2020, date d’entrée en vigueur de deux dispositions de la Refugees Act. Sa motivation contribue à la protection des droits des migrants selon une approche centrée sur la dignité qui contraste avec les paradigmes du droit des migrations et de la jurisprudence occidentale fondée sur la recherche de l’équilibre entre souveraineté et droits de l’homme quoique la tendance bascule souvent vers la première. 

A. Arrêt

Le requérant, le Scalabrini Centre of Cape Town, introduit deux requêtes devant la Haute Cour d’Afrique du Sud. 

La première requête sollicite que la Cour prononce une ordonnance interdisant au ministère de l’Intérieur d’appliquer les paragraphes 22 (12) et (13) de la Refugees Act en attendant l’issue de la contestation. La seconde requête se rapporte à l’incompatibilité des deux paragraphes susmentionnés aux principes de non-refoulement et de dignité garantis par la Constitution sud-africaine. Les deux paragraphes imposent aux requérants, dont la demande est en cours, l’obligation de renouveler le visa dans un délai d’un mois à compter de la date d’expiration (§ 6). À défaut, et sauf raisons impérieuses, le demandeur d’asile devient un migrant irrégulier et perd le droit de travailler en Afrique du Sud et, par conséquent, son visa. Le requérant allègue que ce système est incompatible avec le droit international, la constitution, et la Refugees Act, car il viole le principe de non-refoulement et la dignité des migrants. La dignité des migrants se trouve mise à mal par l’impossibilité de travailler et d’accéder aux besoins sociaux de base (§ 8). Le principe de non-refoulement est violé car le demandeur risque l’expulsion vers son pays d’origine à cause du non-respect d’une simple exigence procédurale. En dépit de l’existence d’un manquement imputable dans le chef du demandeur, des conséquences préjudiciables et inhumaines ne sauraient justifier la violation des prescrits de la constitution.

Le défendeur, pour sa part, justifie les mesures d’expulsion des candidats réfugiés à la suite du non-renouvellement de visa. L’objectif de cette décision est d’alléger la charge énorme de travail pour les fonctionnaires du département. Ce dernier compte quelque 737 315 demandes de visa qui ne sont pas actives (§ 9). Pour le défendeur, 68 ans sont requis pour résorber cet arriéré tout en faisant face aux nouvelles demandes. Leur défense initiale s’appuie sur l’article 68 de la Constitution sud-africaine (Limitation of rights) pour justifier la restriction du droit d’asile (§ 18). Par la suite, il abandonne cette ligne de défense et reconnaît que l’Afrique du Sud est tenue d’accueillir les réfugiés conformément au droit international à partir du principe de non-refoulement inscrit dans la Refugees Act (§ 20). À cet effet, il sollicite un report de l’affaire pour une période de 18 à 24 mois afin d’initier une nouvelle législation au Parlement (§ 12). 

Après avoir rejeté cette demande de report, la Cour constate la non-conformité à la constitution de deux dispositions de la loi sud-africaine de 1998, à savoir les paragraphes 22 (12) et 22 (13) de la Refugees Act. Elle s’appuie sur deux principes : le principe de non-refoulement et le principe de dignité humaine. 

S’agissant du principe de non-refoulement, la Cour dit que les deux dispositions de la loi sud-africaine sont contraires au principe de non-refoulement parce qu’elles « impose a double penalty : they not only exclude determination of the merits, but also prohibit any re-application for asylum » (§ 35). Concernant la dignité, la Cour conclut que les dispositions contestées ne respectent pas le droit à la dignité humaine parce que les demandeurs d’asile « were unable to find work in the formal sector, could not gain access to basic services such as healthcare and banking, and faced the risk of arrest, detention and deportation » (§ 39).

B. Éclairage

Le raisonnement de la Cour soulève deux observations relatives, d’une part, au principe de non-refoulement et, d’autre part, à celui de la dignité humaine. 

La première observation concerne le principe de non-refoulement qui interdit aux États d’adopter trois comportements. Il s’agit de « la sanction du fait de l’entrée irrégulière à l’encontre du réfugié qui se présente sans délai aux autorités (art. 31 Genève), de l’expulsion du réfugié qui se trouve régulièrement sur le territoire (art. 32) et du refoulement sur les frontières des territoires à risque (art. 33) »[1]. En conditionnant le traitement de la demande d’asile à la régularité du séjour, les instances d’asile violent le principe de non-refoulement consacré à l’article 31 de la Convention de Genève de 1951. Pourtant, l’article 2 de la Refugees Act n’interdit pas une telle pratique. Cette disposition n’interdit que le refoulement vers le territoire à risque (art. 33). La Cour élargit son champ matériel en s’appuyant sur la jurisprudence sud-africaine établie depuis l’affaire RutaSelon cette affaire : « all asylum seekers are protected by the principle of non-refoulement, and the protection applies as long as the claim to refugee status has not been finally rejected after a proper procedure »[2]. Cette jurisprudence adopte une interprétation large de l’article 2 de la Refugees Act en incluant dans son champ matériel des pratiques qui n’étaient pas visées au départ.

À travers ce raisonnement, la Cour conclut à la non-conformité de deux dispositions de la Refugees Act au principe de non-refoulement consacré par la même loi. À partir du moment où le principe de non-refoulement n’est pas constitutionnellement garanti, il y a lieu de se demander sur quelle base la Cour établit la violation de la constitution. Pour y arriver, la Cour procède à un test de proportionnalité à partir de l’examen de l’article 36 (Limitation of rights) de la Constitution et de la jurisprudence subséquente. Ce cadre juridique appelle à mener l’enquête de rationalité entre l’objectif du législateur et les moyens utilisés. Dans la présente espèce, le législateur dit poursuivre plusieurs objectifs parmi lesquels réduire les arriérés des demandes d’asile, décourager les demandes non authentiques, etc. Pour atteindre cet objectif, il recourt à un moyen, à savoir l’exclusion de la procédure d’asile (§ 46). Pour la Cour, ce moyen est arbitraire parce que « the respondents wrongly assume that most asylum seekers have no valid claims to asylum and no interest in pursuing those claims. This assumption violates the core principle of refugee law » (§ 46). En partant des évidences, la Cour estime que l’exclusion de la procédure d’asile à partir du non-renouvellement du visa constitue plutôt « the consequence of long queues, the financial burden of getting to reception offices and taking time off from work to do so » (§ 46). Par conséquent, la Cour conclut que « the provisions fall to be struck down as constitutionally bad » (§ 46).

La deuxième observation se rapporte au principe de dignité humaine sur lequel se fonde la Cour pour constater la non-conformité des paragraphes 22 (12) et 22 (13) de la Refugees Act à la Constitution sud-africaine. Cette dernière prévoit le droit à la dignité à son article 10 : « Everyone has inherent dignity and the right to have their dignity respected and protected ». La Cour interprète la dignité comme un droit qui implique le droit à l’emploi, l’accès aux soins, à l’éducation et à d’autres services (§ 38). En refusant aux demandeurs d’asile le renouvellement de leur visa, les instances d’asiles les ont privés de l’accès « to basic services such as healthcare and banking, and faced the risk of arrest, detention and deportation » (§ 39). 

Ce raisonnement de la Cour constitutionnelle s’inscrit dans le prolongement de la jurisprudence des juridictions régionales africaines qui adoptent une approche des migrations centrée sur la dignité humaine. Dans l’affaire Open Society Justice c. Côte d’Ivoire, la Commission africaine des droits de l’homme considère que la nationalité et les statuts de réfugiés relèvent de la dignité humaine consacrée par l’article 5 de la Charte africaine[3]. La Cour africaine, dans l’affaire John Penessis[4], invoque la dignité pour protéger le droit à la nationalité. Par ailleurs, la Cour estime que la situation d’irrégularité du migrant ne saurait justifier la pratique de la fouille rectale au nom du droit à la dignité[5]. Dans l’affaire Martin Guggenheimer c. Nigeria, la Cour de justice de la CEDEAO considère que la détention arbitraire et la confiscation du passeport d’un non-national constituent une violation du droit à la dignité[6]. Pour Abdou Khadre Diop, cette approche « contraste avec les paradigmes dominants du droit international et de la jurisprudence occidentale »[7] qui rappelle chaque fois l’exception de souveraineté dans le contentieux migratoire[8].

C. Conclusion

En définitive, cette affaire met en évidence la controverse autour de la nature juridique du principe de non-refoulement. D’une part, la Cour constitutionnelle dit que ce principe « is so fundamental that no reservations or derogations may be made to it » (§ 29). Par ce dictum, la Cour hisse le principe de non-refoulement au rang d’une norme de jus cogens défini à l’article 53 de la Convention de Vienne sur le droit des traités. D’autre part, la Cour admet les atteintes au principe de non-refoulement en le soumettant au test de proportionnalité. Dans ce sens, elle considère l’existence de telles atteintes découlant de paragraphes 22 (12) et 22 (13) de la Refugees Act tout en les qualifiant de « irrational and arbitrary » (§ 44). Par ce raisonnement, le principe de non-refoulement constitue non pas une norme de jus cogens, mais un droit relatif dont le régime juridique obéit au test de proportionnalité. Loin de remettre en cause l’importance du principe de non-refoulement, Jean-Yves Carlier tempère cette controverse : « À dire vrai, l’opposition entre les deux est peut-être exagérée. La controverse est plus une question de forme que de fond. Ce n’est pas tant l’importance du principe de non-refoulement, comme clé de voûte du système de protection des réfugiés, qui est mis en cause. C’est plus son assise »[9].

D. Pour aller plus loin

Lire l’arrêt : Cour constitutionnelle d’Afrique du Sud, 24 août 2023, Scalabrini Centre of Cape Town and Another c.  The Minister of Home Affairs and Others, Case CCT 51/23. 

Jurisprudence :

Doctrine :

  • Carlier, J.-Y., « Droit d’asile et des réfugiés – De la protection aux droits », R.C.A.D.I., La Haye, Martinus Nijhoff, 2008.
  • Carlier, J-Y. et S. Sarolea, Droit des étrangers, Bruxelles, Larcier, 2016.
  • Diop, A. K., « La protection des droits des migrants dans le système africain des droits de l’homme – une approche centrée sur la dignité humaine », L’Observateur des Nations unies, vol. 57, 2024-2.

Pour citer cette note : T. Maheshe Musole, « Vers l’émergence d’une approche centrée sur la dignité dans le contentieux migratoire », Cahiers de l’EDEM, mai 2025.
 


[1] J.-Y. Carlier, Droit d’asile et des réfugiés – De la protection aux droits, R.C.A.D.I., La Haye, Martinus Nijhoff, 2008, p. 80.

[2] Cour constitutionnelle d’Afrique du Sud, Ruta v Minister of Home Affairs [2018] ZACC 52 ; 2019 (2) SA 329 (CC) ; 2019 (3) BCLR 383 (CC), § 29.

[3] Commission ADHP, Communication 318/06, Open Society Justice Initiative c. République de Côte d’Ivoire, § 97.

[4] Cour ADHP, 28 novembre 2019, John Penessis c. Tanzanie, req. n° 013/2015.

[5] Cour ADHP, 28 mars 2019, Lucien Ikilli Rashidi c. Tanzanie, req. n° 009/2015.

[6] Cour de justice CEDEAO, 4 mars 2021, Martin Guggenheimer c. Nigeria, ECW/CCJ/APP/23/20.

[7] A. K. Diop, « La protection des droits des migrants dans le système africain des droits de l’homme – Une approche centrée sur la dignité humaine », L’Observateur des Nations Unies, 2024-2, vol. 57, p. 229.

[8] J.-Y. Carlier et S. Sarolea, Droit des étrangers, Bruxelles, Larcier, 2016, pp. 71 et s. 

[9] J.-Y. Carlier, Droit d’asile et des réfugiés – De la protection aux droits, R.C.A.D.I., La Haye, Martinus Nijhoff, 2008, p. 125.