Comité des droits de l’homme, 7 mai 2025, Décision concernant les peuples mayas, CCPR/C/143/D/4023/2021-4032/2021
cedie | Louvain-la-Neuve
La reconnaissance historique des dommages transgénérationnels : le Comité des droits de l’homme face aux déplacements forcés des peuples autochtones
Déplacement forcé – Dommages transgénérationnels – Peuples autochtones mayas – Réparations non exécutées – Droits culturels et identitaires – Comité des droits de l’homme.
Dans ses constatations du 7 mai 2025, le Comité des droits de l’homme des Nations unies a reconnu le Guatemala responsable de violations massives et continues des droits humains à l’égard de 269 membres des peuples autochtones mayas K’iche’, Ixil et Kaqchikel. Ces populations avaient été déplacées de force durant le conflit armé interne des années 1980, dans le cadre d’une politique dite de « terre brûlée ». Bien que des accords de réparation aient été conclus en 2011, incluant notamment la réinstallation et la construction de logements, le Guatemala n’a jamais honoré ses engagements, laissant les victimes dans une situation de vulnérabilité extrême. Le Comité a ainsi établi que le déplacement forcé, par sa nature continue, affecte non seulement les générations directement concernées, mais aussi les enfants nés en exil, introduisant ainsi pour la première fois dans sa jurisprudence la notion de « dommages transgénérationnels ». Cette décision marque dès lors un tournant dans la reconnaissance des droits intergénérationnels des peuples autochtones, soulignant ainsi l’importance de la transmission culturelle et spirituelle pour la survie de leur identité.
Pranav Vercruysse
A. Arrêt
1. Faits
Entre 1978 et 1996, le Guatemala a mené une politique dite de « terre brûlée » lors du conflit armé interne, visant à éradiquer les populations autochtones, notamment les peuples mayas K’iche’, Ixil et Kaqchikel. Cette stratégie militaire a conduit au déplacement forcé de milliers de membres de ces communautés, les contraignant à fuir leurs terres ancestrales pour se réfugier dans les banlieues de la capitale. Privés de leurs « habitations » traditionnelles, de leurs « pratiques culturelles » et de leurs « rituels mortuaires », ces peuples ont vu leur lien au territoire et leur identité collective profondément bouleversés.
C’est ainsi qu’en 2011, l’État guatémaltèque a officiellement reconnu, dans le cadre de la résolution CNR-RM-10-2011, la responsabilité du déplacement forcé comme crime contre l’humanité, et a engagé sa responsabilité à travers le Programme national de réparation (ci-après, PNR). Ce programme, négocié avec les représentants des communautés affectées et les institutions nationales compétentes, prévoyait un ensemble de mesures de réparation : entre autres, la réinstallation dans des conditions dignes, l’attribution des terrains individuels avec la construction des logements équipés des services essentiels (eau, électricité, assainissement), la prise en charge médicale et psychologique, des bourses éducatives pour les enfants, un acte public de reconnaissance de responsabilité, ainsi que la restitution des droits culturels et spirituels. Ces engagements visaient à restaurer, autant que possible, les « conditions de vie », de santé et d’identité des communautés déplacées.
Bien que le Comité constate que ces mesures auraient été appropriées pour remédier aux violations continues, aucune de ces réparations n’a été mise en œuvre plus de 14 ans après leur adoption. En l’espèce, le Guatemala a invoqué des contraintes budgétaires, allant jusqu’à démanteler en 2020 le Secrétariat à la paix chargé du suivi du PNR. Ce défaut d’exécution a aggravé la précarité des populations concernées et conduit à une violation persistante de leurs droits fondamentaux.
2. Raisonnement et décision du Comité des droits de l’homme
Saisi par les membres des peuples autochtones mayas K’iche’, Ixil et Kaqchikel, le Comité des droits de l’homme a reconnu le caractère « continu » du « déplacement forcé », considérant qu’il constitue une violation permanente des droits fondamentaux tant que les victimes n’ont pas pu retrouver un lieu de résidence « sûr » et « digne », ou être réinstallées dans des conditions acceptables. Cette reconnaissance s’appuie principalement sur l’article 12 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (ci-après, PIDCP), garantissant le droit à la liberté de circulation et de choix de résidence. En effet, le Comité souligne que l’absence de mise en œuvre des engagements pris dans le cadre du PNR de 2011, y compris la construction de logements et l’accès à des services de base, constitue une atteinte aux droits fondamentaux des communautés déplacées.
Sur le plan culturel et identitaire, le Comité a également souligné une violation de l’article 27 du PIDCP, protégeant les droits des minorités à préserver leur « culture, leur langue […] et leurs traditions ». En effet, le déplacement forcé a contraint les membres des communautés mayas à abandonner leurs pratiques culturelles, marquant une rupture profonde avec leurs traditions et leur identité collective.
Par ailleurs, le Comité a relevé une violation de l’article 7 du PIDCP, estimant que le déracinement et l’impossibilité de réaliser les « rituels mortuaires » traditionnels constituent des « traitements cruels, inhumains et dégradants ». Cette dimension spirituelle, essentielle dans la cosmogonie maya, a été mise en avant par les interventions de tiers, notamment celles du mécanisme d’experts sur les droits des peuples autochtones et de l’Indigenous Peoples Rights International (ci-après, IPRI).
Enfin, le Comité a constaté une atteinte à l’article 2.3 du PIDCP, imposant aux États l’obligation de garantir un recours utile et effectif en cas de violation des droits reconnus. Par conséquent, l’inexécution des mesures prévues par le PNR, combinée au démantèlement du Secrétariat à la paix en 2020, a privé les victimes de tout recours effectif, violant ainsi leur droit à une réparation appropriée. Cette défaillance administrative a également été jugée contraire à l’article 14, § 1er, du PIDCP, qui garantit à toute personne le droit à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal compétent. Le Comité a estimé que le non-respect de la résolution CNR-RM-10-2011 – par laquelle l’État partie s’était engagé à construire des logements en réparation des déplacements forcés – traduisait un manquement aux garanties procédurales et substantielles prévues par cette disposition.
En définitive, le Comité a ordonné au Guatemala de procéder « sans délai » à l’exécution des réparations convenues, incluant la construction de logements, l’accès à des soins médicaux et psychologiques, des bourses d’études pour les enfants des communautés concernées, ainsi qu’un acte public de reconnaissance de responsabilité. L’État guatémaltèque devra également traduire la décision dans les langues maya K’iche’, Ixil et Kaqchikel afin de garantir une diffusion et une compréhension adéquates par les populations concernées.
B. Éclairage
1. Vers la reconnaissance des dommages transgénérationnels : une avancée jurisprudentielle
La décision du Comité des droits de l’homme des Nations unies marque une avancée remarquable en matière de protection des droits des peuples autochtones, en consacrant explicitement la notion de « dommages transgénérationnels ». Cette reconnaissance dépasse le seul cadre des violations passées pour s’attacher aux effets durables de ces atteintes sur les générations suivantes, en particulier les « enfants et petits-enfants » nés après le déplacement forcé initial. Ainsi, le Comité ne se contente pas de souligner une continuité historique : il identifie des violations autonomes de droits, affectant directement les descendants des victimes.
Ces dommages, tels que qualifiés par le Comité, englobent une pluralité de droits fondamentaux : non seulement les droits culturels protégés par l’article 27 du PIDCP, mais aussi le droit à la vie privée, à l’identité, à la dignité, à la santé mentale et spirituelle (articles 17 et 7 du PIDCP). Dès lors, il en résulte une lecture holistique de la souffrance subie qui articule l’atteinte au lien culturel avec une atteinte structurelle à l’intégrité personnelle et communautaire sur plusieurs générations. La transmission du traumatisme, l’effacement des pratiques linguistiques et rituelles ainsi que la perte du lien territorial et symbolique constituent dès lors autant de préjudices intergénérationnels désormais justiciables.
Cette position du Comité s’inscrit dans une dynamique jurisprudentielle plus large, en écho aux décisions rendues par d’autres instances internationales telles que la Cour interaméricaine des droits de l’homme – notamment dans les affaires Yakye Axa c. Paraguay (2005) ou Pueblo Bello Massacre c. Colombie (2006) – qui avaient reconnu l’impact durable des déplacements forcés sur les communautés autochtones. Toutefois, le Comité franchit un seuil supplémentaire en conférant à ces effets une valeur juridique autonome, en tant que violations distinctes des droits des générations postérieures. Ce glissement marque ainsi un tournant dans sa propre jurisprudence, traduisant une évolution du droit onusien vers une protection intergénérationnelle effective des droits humains.
Sur le plan doctrinal, cette approche répond aux appels lancés par plusieurs experts du droit international public, tels que Hélène Tigroudja, Ludovic Hennebel ou encore Carla Ferstman, qui plaident pour une reconnaissance des préjudices intertemporels, en particulier dans les contextes de violations massives et prolongées des droits humains[1]. Les travaux de la Commission du droit international sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite soulignent également, à l’article 14, le caractère continu de certaines violations, notamment lorsqu’elles touchent des droits collectifs ou culturels liés à l’identité d’un peuple.
Si la décision concerne spécifiquement des peuples autochtones – dont les droits, comme l’a rappelé Hélène Tigroudja, sont par définition « intergénérationnels » –, elle pose aussi les bases d’un élargissement possible. Les atteintes transgénérationnelles pourraient en effet être reconnues dans d’autres contextes historiques, notamment les situations coloniales, les déplacements liés à l’esclavage, ou encore les violations massives dans les conflits armés. Ainsi, bien que cette décision s’inscrive dans le champ spécifique des droits autochtones, elle participe à une dynamique plus large de reconfiguration du droit international autour de la mémoire, de la transmission et de la justice.
2. L’importance du droit à une réparation effective et à la mise en œuvre des engagements étatiques
Le droit à une réparation effective constitue un principe fondamental du droit international des droits de l’homme, consacré notamment par l’article 2, § 3, du PIDCP, ainsi que par les Principes fondamentaux et directives des Nations unies sur le droit à un recours et à réparation (Résolution 60/147 de l’Assemblée générale). Dans cette affaire, le Comité des droits de l’homme ne s’est pas prononcé sur la validité juridique du PNR en tant qu’engagement international. Il a néanmoins estimé que les mesures prévues dans ce cadre – bien qu’adoptées par voie interne – engageaient l’État guatémaltèque au regard de ses obligations conventionnelles, dans la mesure où elles avaient été reconnues officiellement comme nécessaires et adéquates pour remédier aux violations subies.
Le Comité rappelle que l’État avait, par la résolution CNR-RM-10-2011, reconnu les victimes comme déplacées de manière forcée et s’était engagé, à travers le PNR, à mettre en œuvre une série de réparations concrètes. Ces mesures, conçues en concertation avec les représentants des communautés autochtones, apparaissaient ainsi comme une réponse proportionnée au préjudice massif subi. En conséquence, leur non-exécution – plus de 14 ans après leur adoption – constitue une violation manifeste de l’article 2, § 3, du Pacte.
En l’espèce, l’État a invoqué des contraintes budgétaires et administratives, allant jusqu’à démanteler le Secrétariat à la paix chargé du suivi du programme. Or, comme le souligne le Comité, les obligations de réparation ne sauraient être neutralisées par des obstacles d’ordre interne. La jurisprudence internationale, notamment celle de la Cour interaméricaine[2] et de la Cour internationale de justice[3], rappelle que l’exécution de mesures de réparation – qu’elles découlent d’un jugement ou d’un engagement formel de l’État – relève de la bonne foi et du respect de la primauté du droit.
Le Comité insiste donc sur l’impératif de garantir l’effectivité des droits consacrés par le PIDCP, ce qui suppose l’existence de mécanismes concrets de mise en œuvre et de suivi. En s’abstenant d’exécuter les réparations promises dans le cadre du PNR – pourtant reconnues comme appropriées et nécessaires –, l’État partie a privé les victimes d’un recours utile, en violation manifeste de l’article 2, § 3, du Pacte. Ce manquement n’a pas seulement des conséquences juridiques : il traduit également une atteinte profonde à la dignité des personnesconcernées. En effet, la non-reconnaissance du préjudice subi et l’absence persistante de réparation contribuent à maintenir les populations autochtones dans une situation d’injustice structurelle, niant leur statut de sujets de droit à part entière. Or, dans la philosophie du droit international des droits de l’homme, la dignité humaine constitue le fondement de la responsabilité étatique en matière de réparation, en tant qu’elle impose de rétablir – autant que possible – l’intégrité morale, culturelle et sociale des victimes. À ce titre, la défaillance institutionnelle de l’État ne saurait être perçue comme un simple manquement administratif : elle constitue un déni de justice, incompatible avec les engagements pris par le Guatemala dans le cadre de la reconnaissance formelle de ces populations comme victimes de déplacements forcés.
3. Le droit à la préservation de l’identité culturelle et les pratiques funéraires mayas
La décision du Comité met également en lumière l’importance du droit à la préservation de l’identité culturelle, en particulier à travers les pratiques funéraires des peuples autochtones. Le Comité rappelle que l’article 27 du PIDCP garantit aux minorités ethniques le droit de « jouir de leur propre culture, de professer et pratiquer leur propre religion, ou d’utiliser leur propre langue ». En ce sens, l’impossibilité pour les peuples mayas d’exercer leurs « rituels mortuaires » traditionnels constitue une violation de ce droit fondamental.
Cette interprétation trouve un écho dans la jurisprudence de la Cour interaméricaine des droits de l’homme, qui avait également consacré le droit des peuples autochtones à préserver leurs traditions culturelles, notamment dans l’affaire Saramaka People v. Suriname (2007), où la Cour a affirmé le droit des communautés autochtones à exercer leurs pratiques spirituelles et culturelles, même en cas de déplacement forcé. Par conséquent, cette reconnaissance s’inscrit dans une approche holistique de la protection des droits culturels, considérant les pratiques religieuses et culturelles comme intrinsèquement liées au territoire et à l’identité collective.
Par ailleurs, la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones (articles 11 et 12) consacre le droit des peuples autochtones à maintenir et à protéger leurs pratiques culturelles et religieuses. L’article 12 insiste particulièrement sur le droit des peuples autochtones à pratiquer, revivifier et enseigner leurs traditions culturelles et spirituelles, y compris le droit de préserver les lieux religieux et culturels. Dès lors, cette disposition prend un relief bien particulier dans le cas des peuples mayas, dont les rites funéraires représentent un pilier de leur cohésion sociale et de leur transmission intergénérationnelle.
C’est pourquoi l’absence de rites funéraires a été perçue par le Comité comme un obstacle à l’équilibre spirituel des survivants, conformément aux croyances cosmogoniques mayas. Selon ces traditions, l’incapacité d’enterrer les membres de la communauté selon les rites ancestraux empêche l’âme de trouver la paix, ce qui engendre un déséquilibre spirituel et des « maladies psychosomatiques » au sein de la communauté. Ce constat a également été renforcé par les interventions de tiers, notamment celle de l’IPRI, qui a plaidé pour une reconnaissance du préjudice spirituel et culturel découlant de la privation de ces pratiques rituelles.
Ainsi, le Comité établit un lien fort entre le droit international des droits de l’homme et les traditions culturelles ancestrales, en considérant que le respect des rites funéraires ne constitue pas uniquement un droit culturel garanti par l’article 27 du PIDCP, mais également une dimension essentielle à la restauration de l’intégrité morale et psychologique des victimes. Cette reconnaissance du caractère spirituel des atteintes subies trouve un écho particulier dans la cosmogonie maya, où les pratiques mortuaires sont indissociables de l’équilibre communautaire et du deuil collectif.
Cette décision montre également que les atteintes aux droits culturels ne se limitent pas à la sphère privée, mais impliquent des obligations structurelles de la part des États, notamment dans la mise en œuvre de politiques de réparation conformes aux traditions des peuples concernés. En ce sens, cette décision du Comité pourrait inspirer une évolution plus large du droit international, en direction d’un cadre normatif plus attentif aux normes coutumières non occidentales.
Dès lors, même si le Comité n’emploie pas explicitement le terme de justice réparatrice, sa décision s’inscrit néanmoins dans une logique qui s’en rapproche, en intégrant la nécessité de réparer les atteintes immatérielles et symboliques liées au déracinement culturel. En ce sens, plusieurs voix doctrinales plaident pour élargir la conception de la réparation afin d’y inclure les dimensions spirituelles, identitaires et intergénérationnelles du préjudice subi – particulièrement dans le cas des peuples autochtones. À cet égard, Ludovic Hennebel et Hélène Tigroudja insistent sur la nécessité d’intégrer les éléments culturels et spirituels dans les mécanismes de réparation, en soulignant que l’identité collective des peuples autochtones ne saurait être dissociée de leur droit à réparation[4]. De manière complémentaire, Dinah Shelton évoque l’émergence d’une justice transformatrice, qui cherche à reconfigurer les relations entre les victimes et l’État à travers une reconnaissance plus complète des souffrances vécues, y compris dans leur dimension rituelle et symbolique[5].
C’est pourquoi cette reconnaissance explicite des pratiques funéraires et des rites spirituels par le Comité peut être interprétée comme une ouverture vers une conception plus holistique de la réparation, davantage attentive aux normes coutumières et religieuses, et apte à nourrir une justice transformatrice adaptée aux spécificités culturelles des peuples autochtones.
Conclusion
La décision du Comité des droits de l’homme des Nations unies concernant les peuples mayas K’iche’, Ixil et Kaqchikel contre le Guatemala constitue une étape majeure dans la consolidation des droits des peuples autochtones au sein du droit international des droits de l’homme. En consacrant la notion de « dommages transgénérationnels » et en reconnaissant l’importance des pratiques culturelles et spirituelles dans la réparation des préjudices, le Comité propose une lecture élargie et contextuelle des obligations étatiques issues du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il réaffirme ainsi que les violations structurelles, notamment lorsqu’elles affectent les droits culturels, linguistiques et spirituels, doivent être traitées dans leur dimension collective et durable.
De plus, cette décision s’inscrit dans un dialogue jurisprudentiel plus large entre les organes internationaux de protection des droits humains – notamment avec la Cour interaméricaine des droits de l’homme – qui, tous, tendent à reconnaître l’impact prolongé des déplacements forcés sur les communautés autochtones. Elle répond également aux réflexions doctrinales sur la nécessité d’une justice attentive aux formes de préjudices immatériels et intergénérationnels.
Il convient toutefois de rappeler que les constatations du Comité, si elles ne disposent pas d’un effet obligatoire comparable à celui des arrêts juridictionnels, sont dotées d’une autorité juridique significative en matière d’interprétation du Pacte. En tant qu’organe chargé d’en assurer l’application, le Comité développe une jurisprudence quasi normative dont la valeur interprétative est reconnue dans la pratique des juridictions nationales et des institutions internationales. Sa légitimité technique et son rôle dans la clarification des obligations étatiques fondent l’importance de ses constatations dans l’évolution du droit international des droits de l’homme.
En ce sens, l’effectivité de ces constatations demeure tributaire du degré de coopération des États et de leur volonté de se conformer de bonne foi aux engagements souscrits. Dans ce contexte, le suivi des décisions, le dialogue constructif entre les organes de traités et les mécanismes nationaux de mise en œuvre deviennent des leviers essentiels pour assurer une protection effective des droits reconnus.
Ainsi, cette décision ouvre des perspectives prometteuses en matière de reconnaissance des droits des peuples autochtones et de consolidation d’une justice plus sensible aux réalités culturelles. Elle invite néanmoins à renforcer les instruments de suivi et à promouvoir une effectivité accrue des mécanismes onusiens, condition indispensable pour que les droits proclamés ne demeurent pas lettre morte.
C. Pour aller plus loin
Lire la décision : Comité des droits de l’homme, 7 mai 2025, CCPR/C/143/D/4023/2021-4032/2021.
Jurisprudence :
- Cour interam. D.H., 17 juin 2005, Yakye Axa c. Paraguay, Série C n° 125, sur la reconnaissance de l’impact durable du déplacement forcé sur l’identité culturelle et les conditions de vie des générations futures.
- Cour interam. D.H., 31 août 2001, Mayagna (Sumo) Awas Tingni c. Nicaragua, Série C n° 79, sur le droit des peuples autochtones à maintenir leurs liens spirituels et matériels avec leurs terres ancestrales, même en l’absence de reconnaissance formelle de propriété.
- Cour interam. D.H., 28 novembre 2007, Saramaka People c. Suriname, Série C n° 172, sur l’affirmation du droit des communautés autochtones à exercer leurs pratiques spirituelles et culturelles, même en cas de déplacement forcé.
- Cour interam. D.H., 31 janvier 2006, Pueblo Bello Massacre c. Colombie, Série C n° 140, sur la reconnaissance de l’impact persistant des déplacements forcés sur les communautés indigènes, en insistant sur le droit à la réparation intégrale, y compris le rétablissement des droits culturels.
- C.I.J., 27 juin 2001, LaGrand (Allemagne c. États-Unis), Rec. C.I.J., 2001, p. 466, sur l’obligation pour les États d’exécuter les décisions de justice de bonne foi.
- C.I.J., 31 mars 2004, Avena et autres ressortissants mexicains (Mexique c. États-Unis), Rec. C.I.J., 2004, p. 12, sur l’obligation des États de se conformer aux décisions judiciaires.
Doctrine :
- Ajabu Mastaki, G. et Cr. Kabula Wa Kalumba, « Un pas vers la reconnaissance des injustices coloniales ? », Cahiers de l’EDEM, janvier-février 2025.
- Ferstman, C., Reparations for Victims of Genocide, War Crimes and Crimes Against Humanity : Systems in Place and Systems in the Making, Martinus Nijhoff, 2009.
- Hennebel, L. et H. Tigroudja, Traité de droit international des droits de l’homme, Paris, Pedone, 2016.
- Shelton, D., Remedies in International Human Rights Law, Oxford University Press, 2015.
Autres :
- Principes fondamentaux et directives des Nations unies sur le droit à un recours et à réparation (Résolution 60/147 de l’Assemblée générale) du 16 décembre 2005.
- Rapport du Mécanisme d’experts sur les droits des peuples autochtones sur les réparations pour les violations des droits culturels (Nations unies, 30 mai 2023).
- Étude de l’Indigenous Peoples Rights International (IPRI) sur les déplacements forcés et les dommages transgénérationnels (2024).
- Commission du droit international, « Projet d’articles sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite », avec commentaires, Annuaire de la CDI, vol. II, 2 ᵉ partie, 2001.
- Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies le 13 septembre 2007.
Pour citer cette note : P. Vercruysse, « La reconnaissance historique des dommages transgénérationnels : le Comité des droits de l’homme face aux déplacements forcés des peuples autochtones », Cahiers de l’EDEM, mai 2025.
[1] Voy. par exemple H. Tigroudja et L. Hennebel, Traité de droit international des droits de l’homme, Pedone, 2016 ; C. Ferstman, Reparations for victims of genocide, war crimes and crimes against humanity, Martinus Nijhoff, 2009.
[2] Pueblo Bello Massacre c. Colombie (2006).
[3] LaGrand (2001, Allemagne c. États-Unis) ; Avena et autres ressortissants mexicains (2004, Mexique c. États-Unis).
[4] H. Tigroudja et L. Hennebel, Traité de droit international des droits de l’homme, op. cit.
[5] D. Shelton, Remedies in International Human Rights Law, Oxford University Press, 2015.