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Osaka 2025 : quand les émotions deviennent une affaire de santé publique

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26 June 2025, modifié le 9 September 2025

olivier LuminetComment repenser le bien-être mental à l’échelle d’une société ? C’est l’une des grandes questions débattues à l’Exposition universelle d’Osaka 2025, où la Belgique, le Canada, la France et le Japon ont croisé leurs expertises autour de la santé mentale et le bien-être tout au long de la vie.
Parmi les interventions marquantes ? Celle du professeur Olivier Luminet qui a donné une conférence le 26 juin, sur un phénomène encore trop peu connu du grand public : l’alexithymie ou la difficulté à identifier, comprendre et exprimer ses émotions. Nous en avons profité pour lui poser quelques questions afin de proposer un éclairage sur un facteur de risque souvent invisible, mais aux répercussions majeures sur la santé mentale et physique.

L’alexithymie est encore peu connue du grand public. Comment expliquez-vous ce phénomène psychologique ?

On parle de trait parce que ces caractéristiques se développent durant l’enfance et l’adolescence et deviennent ensuite assez stables à l’âge adulte. On distingue trois caractéristiques fondamentales. Tout d’abord, une difficulté à identifier et distinguer différents états émotionnels. Ces personnes se sentent souvent très confuses quant à savoir par exemple si dans un événement spécifique elles sont tristes, anxieuses ou apeurées. Ensuite, une difficulté à parler de ses émotions aux autres. Et enfin, quand elles sont confrontées à un événement stressant, un mode de pensée très concret et pragmatique sans espace pour les émotions appelé pensée opératoire. 

Pourquoi est-il crucial de mieux comprendre ce trouble aujourd’hui ? 

Les données convergent pour montrer que sur le long terme avoir des scores élevés sur les caractéristiques de l’alexithymie augmente de façon significative le risque de développer des troubles à la fois mentaux et somatiques. On estime que 10 à 15% de la population globale atteint un niveau clinique. La prévalence est donc élevée. Cela souligne l’importance d’une prévention dès l’enfance, soutenue par les parents et l’école, mais aussi d’une meilleure détection, afin de prévenir les risques pour la santé. 

Quels sont les liens les plus marquants entre alexithymie et santé physique, notamment en ce qui concerne les maladies chroniques ou psychosomatiques ? 

On observe des prévalences élevées (parfois au-delà de 30%) dans de nombreuses formes d’addiction (troubles alimentaires, dépendance à l’alcool, jeu pathologique), dans les troubles du spectre autistique, mais aussi dans les troubles cardio-vasculaires (notamment l’hypertension), digestifs (côlon irritable), ou articulaires (arthrite rhumatoïde). L’alexithymie peut à la fois augmenter le risque de développement de ces pathologies, de manière additionnelle à d’autres facteurs de risque, mais aussi agir comme facteur de ralentissement du traitement quand le trouble est déclaré. 

Peut-on prévenir ou atténuer les effets de l’alexithymie par l’éducation émotionnelle ou des interventions cliniques spécifiques ? 

La prévention est essentielle et trop peu présente car l’alexithymie n’est pas encore suffisamment connue de nombreux spécialistes de la santé et de l’éducation. Les activités qui permettent l’expression émotionnelle à l’école sont à encourager. Elles seront particulièrement bénéfiques pour des jeunes qui grandissent dans des environnements où l’émotion est mise de côté. On connaît également mieux les interventions cliniques les plus efficaces. On peut citer notamment celles centrées sur la prise de conscience du fonctionnement corporel et sur la mise en place de stratégies fonctionnelles de régulation des émotions. Les techniques d’hypnose et les interventions qui permettent de combiner activité physique et méditation comme le yoga apportent également des bénéfices importants. 

Votre intervention s’inscrit dans une conférence pluridisciplinaire. Que peut apporter une approche interdisciplinaire – psychologie, neurosciences, médecine – à la compréhension des émotions et de la santé mentale ? 

Une approche interdisciplinaire est essentielle pour comprendre les liens entre émotions et santé mentale. Il est nécessaire tout d’abord de combiner des indicateurs biologiques, psychologiques et sociaux pour lesquels l’expertise dépend de plusieurs champs. Il est crucial ensuite d’établir un dialogue entre les professionnels qui rencontrent des troubles des émotions et de leur régulation au quotidien et des chercheurs qui développent des protocoles pour mettre en évidence des liens entre par exemple une réponse cardiaque intense et une absence de retentissement subjectif. Cette combinaison de réponses souligne l’exposition de certaines personnes à des situations de stress sans qu’elles en soient conscientes et donc du risque qu’ils courent pour leur santé mentale et physique. 

Vous en parler dans le cadre d’une conférence qui se tient au Japon, ce type de problème se rencontre dans toutes les cultures de la même manière ?

Les recherches sur l’alexithymie ont porté pour l’essentiel sur des populations occidentales pour lesquelles peu de différences sont observées. Si on a en tête des représentations des habitants du Sud de l’Europe qui expriment plus ouvertement leurs émotions que des habitants du Nord, cela représente uniquement la dimension extérieure, visible de l’émotion. L’alexithymie concerne pour une part essentielle une dimension interne qui n’est pas immédiatement visible. A ce niveau, la prévalence d’alexithymie ne diffère guère entre l’Italie et la Finlande par exemple. Par contre, les études disponibles qui examinent l’alexithymie dans un contexte oriental mettent en évidence des différences plus notables. Notamment la facette de pensée opératoire dans le contexte chinois correspond à une manière de réagir plus habituelle face à des situations de stress. Il s’agit dans ce cas d’une réponse qui reflète une adhésion fonctionnelle aux normes culturelles, nuançant fortement la vision occidentale d’effets négatifs de la suppression des émotions ressenties. 

Dans un contexte international comme celui d’Osaka 2025, comment percevez-vous l’intérêt croissant de la société pour la régulation émotionnelle et son lien avec le bien-être collectif ? 

On assiste à une prise de conscience beaucoup plus large de l’importance de considérer la régulation émotionnelle et le bien-être, bien au-delà des experts de la santé mentale. La pandémie de covid a montré les dégâts considérables que pouvaient avoir sur certains groupes des mesures radicales d’éloignement social. Les chiffres actuels inquiétants, notamment chez les jeunes, ont permis de mettre cette question à l’avant-plan du débat médiatique et politique. Le fait que l’expo Osaka 2025 consacre une semaine à la question du bien-être et de la santé mentale reflète bien le tournant auquel on assiste – enfin – en 2025.

Cette conférence a été organisée par l'Agence wallonne d'exportation & d'investissement Belgique (AWEX), la Représentation du Québec et l'Ambassade de France.

Ce même symposium aura lieu une seconde fois, le 30 juin à l'ambassade de France à Tokyo.
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